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La Tribune

– le 13 décembre 2022

« Nous devons joindre nos forces. Monter au front ensemble. […] Nous réussirons grâce à la responsabilité de chacun. […] Chacun a son rôle à jouer. […] Nous avons besoin de tous. État, collectivités, entreprises, société civile : chacun doit prendre sa part, à la mesure de ses capacités. » 
À plusieurs reprises dans son discours sur « La méthode du Gouvernement sur la planification écologique » du 21 octobre 2022, Élisabeth Borne a insisté sur l’idée que réaliser la transition écologique allait requérir la mobilisation de tous, une idée qu’elle avait déjà exprimée dans son “Discours de Politique générale” du 6 juillet 2022 : « La transition écologique est l’affaire de tous. (…) Tout ne viendra pas de l’État seul, chacun devra y prendre sa part, c’est la condition de la réussite ».

La Première ministre fait ainsi sienne, non seulement le concept de Pacte mis en avant par la Commission européenne dans sa communication sur le Pacte vert, mais aussi une idée qui revient comme un leitmotiv dans les écrits récents sur la transition écologique, émanant par exemple de la Convention Citoyenne pour le Climat, des grandes entreprises regroupées dans l’association Entreprises pour l’Environnement, ou encore de The Shift Project.

Que signifie cette injonction à agir ensemble ? Que dire de la nature de cette idée ? Contient-elle une puissance transformatrice ? Ou, au contraire, va-t-elle continuer à nourrir l’irresponsabilité actuelle des acteurs, selon le principe que si tout le monde est responsable alors personne ne l’est ?

Pour lever toute ambiguïté, notons que l’appel à la mobilisation de toutes les énergies ne vise pas à soutenir politiquement l’action de l’État dans ce domaine et prévenir l’émergence de nouvelles résistances sociales à l’instar du mouvement des Gilets jaunes. Élisabeth Borne ne dit pas qu’il faut soutenir les mesures difficiles que l’État pourrait prendre ; elle affirme plutôt que « tout ne viendra pas de l’État seul » et, par conséquent, que « chacun devra y prendre sa part ».

Pour saisir toute la portée de cette idée, il nous faut alors prêter plus d’attention à ce « système » qu’il convient de changer. Pour rappel, la position libérale, incarnée par Milton Friedman, se base sur une vision statique de l’économie organisée par deux types d’acteurs, les acteurs privés qui poursuivent leur intérêt propre, et l’État qui agit pour l’intérêt général. Le rôle de structuration de l’économie dévolu à l’État se réduit alors à la définition de règles du jeu qui alignent l’intérêt des acteurs privés avec ceux de la société dans son ensemble.

Or, les enjeux de durabilité débordent de ce cadre conceptuel, puisqu’il est dit que la mise en œuvre de la transition écologique va requérir, outre des changements de régulation, des progrès technologiques et des changements au niveau des comportements individuels qui ne seraient pas uniquement provoqués par une évolution des incitations (prix et réglementation) auxquelles ils réagissent, mais qui proviendraient également d’un changement d’attitude.

Aussi, afin de projeter des trajectoires économiques correspondant à la transition écologique, nous devons élargir notre conception du faisceau de facteurs qui structurent l’activité de l’économie pour y inclure, outre les régulations étatiques, le développement technologique et les déterminants des préférences individuelles. Ce faisceau constitue ce que nous pouvons appeler la « structure de l’économie ».

Ce concept a le mérite de mettre en évidence l’influence des trois groupes d’acteurs clés — l’État, les entreprises, et les individus — sur ces trajectoires : l’État agit sur les régulations ; les entreprises sur le développement technologique ; et les individus sur leurs propres préférences. Ce n’est donc qu’en « agissant ensemble » et de manière coordonnée qu’ils feront évoluer la structure de l’économie de manière à faire advenir des économies durables.

Ainsi, une des conséquences de l’idée d’« agir ensemble » est de nous faire prendre conscience que c’est la « structure de l’économie » qui détermine les futures trajectoires économiques. Ce faisant, nous déplaçons le débat sur l’organisation de l’économie d’une réflexion sur le rôle de l’État par rapport aux régulations à mettre en place, à une réflexion sur la gouvernance multipartite de la structure de l’économie. D’où la méthode, annoncée par Élisabeth Borne, de travailler par filières et par territoires.

Mais ce déplacement n’est pas neutre ; il a, et aura, de multiples conséquences qu’il est encore difficile d’anticiper. Une des plus évidentes, et à forte portée symbolique, est de rendre caduc le mythe de la main invisible d’Adam Smith, puisque tous les acteurs économiques sont maintenant invités à agir de manière responsable en tant que partenaire de cette gouvernance multipartite. Les entreprises, par exemple, devront repenser leur responsabilité sociale en termes de contribution à la transition écologique, et mettre au centre de leurs réflexions leurs politiques d’innovation et de marketing ; l’État devra non seulement réguler, mais aussi être exemplaire dans sa manière d’agir ; et les individus devront, sur leur initiative propre, changer leurs comportements.

L’appel à agir ensemble peut apporter un renouveau salvateur dans nos réflexions sur la manière de faire advenir des économies durables. Mais pour concrétiser cette promesse, il faudra en tirer toutes les conséquences, aussi bien conceptuelles que politiques, sur la manière dont nous abordons les sujets économiques et considérons le rôle des différents acteurs économiques.

Par Franck Amalric, Principal Square Management.

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