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RSE Magazine

– le 28 février 2024

La notation ESG, qui évalue les entreprises en fonction de leurs performances environnementales, sociales et de gouvernance, est devenue un sujet brûlant dans les milieux financiers ces dernières années. Cet été la Commission européenne était en période d’adoption d’une nouvelle réglementation sur la transparence et l’intégrité de la notation ESG. Les investisseurs, quant à eux, sont de plus en plus conscients de l’impact que les entreprises ont sur l’environnement et la société dans leur ensemble, et cherchent à prendre en considération cet impact dans leurs décisions d’investissement. La notation ESG connaît cependant aujourd’hui des faiblesses qui, malgré la réglementation en place, pourrait entrainer la création d’une bulle spéculative.

La subjectivité et le manque de transparence comme principales faiblesses

Les agences de notation (comme MSCI, Sustainalytics ou encore Trucost) appliquent des méthodologies différentes pour évaluer les entreprises selon des critères ESG, ce qui peut conduire à des variations de notation importantes pour des entreprises similaires. Ces différences proviennent de disparités dans les critères évalués, dans leur pondération, ou dans la façon dont les données sont collectées. Par ailleurs, l‘application des normes ESG est différente selon la politique en place dans les entreprises et les pays concernés. Par exemple, de ce côté de l’Atlantique, la Commission européenne a proposé des amendements, publiés dans l’Official Journal of the European Union, dans le but d’améliorer la transparence sur les investissements liés aux secteurs des gaz fossiles et de l’énergie nucléaire. Fin 2022, via la chambre des représentants des États-Unis, les républicains promettaient d’exercer une surveillance rigoureuse des régulateurs et des gestionnaires d’actifs du secteur privé qui auraient politisé leurs investissements au détriment des travailleurs américains et des producteurs d’énergie américains. Également, la Floride a retiré 2 Mds $ de leurs fonds gérés par BlackRock après que cette dernière ait eu un discours encourageant l’application des normes ESG dans sa politique d’investissement. Cette divergence politique entre des acteurs majeurs du marché financier (ici entre les États-Unis et l’Europe) peut accentuer les contradictions en termes de suivi des critères ESG.

Il est également important de souligner que la notation ESG est basée sur des données autodéclarées fournies par les entreprises elles-mêmes. Ces déclarations, généralement publiées tous les 6 à 12 mois, même si elles coïncident avec les communications financières, ne prennent pas en compte directement les évènements pouvant arriver durant cette période, notamment négatifs : actions allant à l’encontre des critères ESG, accusations de greenwashing… De plus, ce système peut donner lieu à des biais ou à des données inexactes. En effet, inclure des rapports ESG incomplets ou des projets inexistants ou peu significatifs dans leur rapport annuel peut contribuer à l’obtention d’une meilleure note ESG. Ces tactiques peuvent donner aux investisseurs une fausse impression de la performance d’une entreprise sur les enjeux de durabilité et entrainer la surévaluation de cette dernière. Dans le but de renforcer les obligations de reporting extra-financier des grandes entreprises européennes, la Commission européenne a voté en 2022 la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive).

Cette directive élargit considérablement le périmètre des entreprises concernées par ces reportings de durabilité et met en place un standard de normes et d’informations thématiques et générales à publier. La directive devra être transposée dans le droit national des États membres avant la fin 2023.

La notation ESG dépend des choix méthodologiques des agences de notation et des politiques en place et ne permet pas de repérer les tentatives de greenwashing. Néanmoins, elle est une valeur de plus en plus utilisée comme étalon d’une stratégie d’investissement.

La création de bulles spéculatives et l’augmentation des inégalités entre les entreprises

Il existe plusieurs entreprises dans le secteur de l’énergie qui, à la suite de leur prise de responsabilité sociale et environnementale, d’annonces de réduction d’empreinte carbone ou encore de futurs investissements dans des projets liés aux énergies renouvelables, ont été saluées par les agences de notation ESG. Une étude menée par BCG (Boston Consulting Group) montre que le respect de quelques critères qualitatifs sur les annonces Climate & Sustainability (insister sur le potentiel de création de valeur, présenter le caractère innovant de l’annonce, etc.), a un impact positif sur la performance boursière des entreprises dans les trois jours suivant leur publication. Cette augmentation est liée à la potentielle transition des entreprises et non pas aux performances environnementales réalisées. De plus, les investisseurs sont davantage tentés d’acheter des actions d’entreprises avec une bonne note ESG ou des fonds indiciels avec des filtres ESG. En 2022, les ETF (Exchange-Traded Funds) ESG ont réalisé une collecte nette supérieure aux ETF non-ESG. Cette tendance était déjà présente en 2021 et devrait continuer en 2023. Avec la même logique, les investisseurs sont également amenés à miser sur la baisse de performance pour les entreprises avec de mauvaises notes ESG qui peuvent pourtant connaître de potentielles croissances. Par exemple, le déclenchement de la guerre en Ukraine a provoqué une surperformance des entreprises impliquées dans les hydrocarbures et/ou l’armement, entreprises qui ne sont pas mises en valeur par la notation ESG.

D’après la Banque de France, depuis l’émission de la première obligation verte — émise pour financer des projets à faible émission de carbone — en 2007, le marché a connu une forte croissance, passant de 2 Mds € d’émissions en 2013 à 467 Mds € en 2021. Les prévisions de croissance étaient à la hausse en 2022 et 2023. Cependant, une forte demande pour ces obligations vertes a provoqué une hausse des prix pouvant mener à une surévaluation de ces dernières. Une surévaluation avérée, couplée aux manques de transparence et de régulation, pourraient favoriser la création d’une « bulle spéculative verte ». L’explosion de cette bulle aurait pour conséquence, à court terme, une remise en question de la crédibilité du marché des obligations vertes et, à moyen terme et long terme, une répercussion directe sur les projets verts financés par ces mêmes obligations. Cela entraînerait aussi une sensibilisation accrue du côté des régulateurs, une révision des critères d’éligibilité et possiblement des sanctions et pénalités plus importantes.

L’ESG a certainement permis de mettre en lumière les performances environnementales, sociales et de gouvernance des entreprises. Néanmoins, il est important de continuer à travailler sur l’amélioration des notations ESG et l’accompagnement des entreprises vis-à-vis des nombreuses réglementations déjà en place. Selon l’enquête « L’industrie européenne en transition » réalisée à la fin 2022 par le cabinet Innofact, seulement une entreprise sur trois se dit prête à se conformer à l’obligation de fournir des données ESG de qualité. Une prise de conscience qui a amené la Commission européenne à préparer une nouvelle réglementation sur la notation ESG. Du côté des investisseurs, une possibilité serait de se tourner vers les projets concrets et les nouveaux acteurs ayant des structures et activités portées par la responsabilité sociale et environnementale, même s’ils peuvent être désavantagés vis-à-vis de leurs notes ESG. L’utilisation de la notation ESG peut provoquer des biais d’investissement et potentiellement contribuer à la formation de bulles spéculatives. Toutefois, à l’aide de nouvelles réglementations mieux ciblées et grâce à l’implication des investisseurs, la notation ESG pourra devenir un indicateur fiable et ainsi participer à une finance plus durable et responsable.

Par Martin Day, Consultant chez Square Management.

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