Sélectionner une page

Economie Matin

– le 12 mars 2021

Depuis quelques années en France, l’importance des problématiques durables et environnementales a poussé le développement de la logique responsable au coeur de nombreuses stratégies d’investissement. La création du label ISR (Investissement Socialement Responsable) en 2016 ainsi que la multiplication des supports d’investissements labellisés, illustrent bien le souhait des investisseurs de faire des placements responsables et durables. Dans ce contexte et à l’initiative du gouvernement, le Contrat à Impact Responsable, un mécanisme financier innovant, a émergé dans le paysage économique et social français.
Il ne s’agit plus seulement d’investir dans des actifs limitant leur impact négatif sur l’environnement et la société, mais de soutenir directement des structures engagées pour l’intérêt général. Si peu d’acteurs bancaires se sont à ce jour mobilisés autour du sujet, l’engagement gouvernemental actuel et l’appel à projets qui vient de s’achever devraient probablement provoquer un regain d’intérêt.

Une structure financière innovante venue du Royaume Uni

Le premier Contrat à Impact Social (CIS) est lancé au Royaume Uni en 2010. Il s’agit pour le gouvernement de faire financer par un investisseur privé un projet associatif innovant sous forme obligataire dont le rendement sera directement indexé au succès du projet. Le CIS se structure autour de quatre acteurs : l’association qui lance le projet (dans un cadre bien établi et notamment avec des indicateurs de performance quantifiables), l’investisseur privé qui avance les fonds, l’instance ministérielle ou gouvernementale (cela peut être un fonds créée spécialement à cet usage – « un Fonds de Paiement au Résultat») qui rémunère l’investissement si les objectifs sont atteints, et un organisme indépendant évaluateur, chargé de mesurer les impacts réels et de chiffrer les résultats. En cas d’échec du projet et si les objectifs définis dans le contrat ne sont pas réalisés, l’investisseur peut perdre l’intégralité de son placement. Par ailleurs, la rémunération en cas de succès correspond à une fraction de l’économie budgétaire réalisée par l’État grâce à l’atteinte des objectifs. En 2010, le Royaume Uni structure le premier « Social Impact Bond » (ou CIS) en lançant un projet portant sur la réinsertion des prisonniers incarcérés à Peterborough. Le budget engagé est de 8M€ et l’objectif vise à réduire de 7.5% la récidive d’une population donnée, entre 2010 et 2015. Les critères de réussite sont largement dépassés : le taux de récidive chute de 9% et les investisseurs, intégralement remboursés, obtiennent un rendement de 3%.

Rapide essor mondial et soutien progressif de l’Etat en France

Forts de ce premier succès, les Britanniques ont rapidement fait aboutir de nombreux projets et d’autres pays, notamment les Etats-Unis, n’ont pas tardé à les imiter. A ce jour, d’après la base de données globales de la plateforme française de l’Impact Invest Lab, on compte 169 CIS dans 31 pays, pour un investissement global de 470 millions de dollars. La France, loin derrière le Royaume Uni et les Etats-Unis, peine à en faire un outil de politique publique à part entière. Un premier appel à projet en 2016 permet de faire émerger les premiers contrats, sur des projets engagés autour d’enjeux sociaux tels que la mobilité, l’insertion professionnelle ou la lutte contre le décrochage scolaire. A ce jour, 9 contrats ont été mis en oeuvre, dont trois ont été financés par BNP Paribas. La banque a fait du CIS une expertise reconnue et cumule les mandats de structureur et investisseur dans 10 contrats à travers le monde. En 2019, le Haut-Commissariat à l’Economie Sociale et Solidaire et à l’Innovation Sociale confie à Frederic Lavenir, président de l’Association pour le Droit à l’Initiative Economique, la mission d’élaborer des recommandations afin de susciter le recours au CIS, de le simplifier et de lancer une dynamique de développement. Dans son rapport, ce dernier identifie plusieurs axes d’opportunités, et propose notamment de donner un cadre institutionnel à la structure financière afin de la rendre plus facilement compréhensible avec l’élaboration d’un contrat « type », mais aussi de créer un centre de compétences et surtout, comme au Royaume Uni, faire preuve d’un engagement volontariste de l’Etat en lançant un « Fonds de paiements aux résultats ».

L’intérêt croissant des investisseurs se heurte à l’enjeu de la valorisation

Dès 2014, dans leur rapport « Choosing Social Impact Bonds », le fonds Bridges Ventures (spécialiste des investissements à impacts et à ce jour investisseur dans 14 CIS) explique que les CIS comportent des originalités qui diffèrent des autres investissements à impact et les rendent particulièrement attractifs. Ils permettent notamment de soutenir des projets entrepreneuriaux qui s’attaquent directement à des problématiques sociales ciblées, mais l’alignement des parties engagées permet d’assurer que l’ensemble des parties prenantes travaille dans la même direction. Par ailleurs, bien qu’en France dans la plupart des CIS, au moins la moitié du montant financé soit conditionné à des objectifs raisonnablement atteignables, il n’en reste un instrument particulièrement risqué. Les investisseurs s’interrogent sur leur rendement potentiel mais aussi plus concrètement sur la façon de valoriser l’actif dans leur portefeuille. D’après un retour d’expérience publié par BNP en décembre 2019, le taux de rentabilité interne maximum des CIS ne dépasse pas les 5,5%, ce qui le rend, si on ne regarde qu’elle, peu attractif face au risque auquel on s’expose. L’émergence de ce type de produit est donc l’illustration d’un réel glissement qui s’opère, vers une vision de la rentabilité qui intègre des critères d’impact.

Si la question du risque demeure un frein important, l’intérêt des clients pour cette typologie de produits est bien présent. Suite aux recommandations du rapport Lavenir en 2019, et à la lumière de nombreuses études conduites dans le monde, le travail réalisé pour clarifier la structure du CIS (l’élaboration du « contrat type ») ainsi que le lancement du « Fonds de paiement aux résultats » (opérationnel depuis le premier trimestre 2020) devraient sans nul doute appuyer le développement des CIS. Les trois appels à projet, dont le premier a été initié fin 2020, illustrent bien l’engagement de l’Etat Français. Ils viendront financer des solutions innovantes sur l’économie circulaire ou encore des innovations venant répondre aux enjeux de l’égalité des chances économiques. D’ici fin 2021, nous devrions pouvoir observer si de nouveaux acteurs bancaires français auront été capables de dépasser la logique seule de rentabilité pour s’engager au service des autres.

Par Jennifer Habbouba Attal, consultante chez Square.

AUTRES ACTUALITÉS EN PEOPLE & CHANGE

Share This