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JDN

– le 1er Août 2023

L’utilisation des sciences comportementales apparaît dans les banques. Outre leur utilisation pour évaluer les profils de risque des clients, elles offrent de nouvelles perspectives.

Depuis plusieurs années, le rôle de “Directeur des Sciences comportementales” apparaît dans les banques américaines. Chez JP Morgan, Jeff Kreisler a pris ce mandat depuis 2020 : il intervient sur une série de projets visant notamment à améliorer la communication et la connexion avec les clients de la banque. La création de rôles similaires dans d’autres banques américaines confirme l’intérêt prononcé pour le sujet, qui dépasse le simple effet de mode. En effet, outre leur utilisation depuis quelques années en France et en Europe pour évaluer les profils de risque des clients, les sciences comportementales offrent de nouvelles perspectives pour aider les banques à optimiser l’expérience client et les parcours digitaux en général.

Mesurer les profils de risque : une voie qui s’est imposée grâce à la réglementation

Les sciences comportementales étudient les mécanismes de décisions des personnes, leurs attentes ou leurs pratiques et s’appliquent à de nombreux domaines tels que l’environnement, la santé ou la mobilité. Leur utilisation dans l’univers de la banque est apparue depuis 2007 dans le cadre de l’évaluation des profils de risque des investisseurs particuliers exigée par la directive MIF. L’Autorité des Marchés Financiers impose aux banques de réaliser des questionnaires pour classer leurs clients et mesurer leur appétence au risque : pour cela, elles peuvent s’appuyer sur les outils d’évaluation psychologique mis en avant par les sciences comportementales, permettant notamment de décrire des personnalités et d’établir des corrélations avec des profils d’investisseurs. Par exemple, de nombreuses études font le lien entre les cinq types de personnalités décrites par la méthode Big Five et l’appétence au risque : une personne avec un type “ouverture” et “extraversion” prononcé aura tendance à être plus appétente au risque qu’un individu axé sur la “conscienciosité”. Cette utilisation dans un cadre réglementaire a généré de nouvelles opportunités pour des fintechs qui ont imaginé de nouveaux services. La société Neuroprofiler met ainsi en avant ses compétences en matière de sciences comportementales pour proposer des solutions de profilage ludiques, interactives et génératrices de revenus. Il ne s’agit plus seulement de classer les clients, mais également de dynamiser les ventes en leur proposant directement des produits adaptés suite au parcours de profilage intégré et personnalisé.

Influencer discrètement un utilisateur vers un comportement bénéfique : la théorie des “nudges”

Si les sciences comportementales ont fait leurs preuves sur l’amélioration de la connaissance des clients, elles sont également utilisées pour les orienter sur les différents parcours. À ce titre, on peut constater que de nombreux acteurs bancaires ont mis en place des stratégies issues de la théorie des “nudges” dans leurs solutions de gestion des finances personnelles. Cette théorie fait valoir que l’impact des suggestions sur la motivation et la prise de décision est au moins aussi important que l’instruction directe. Ainsi, par des sollicitations visuelles ou des propositions discrètes, le client se voit naturellement orienté dans le sens qu’on lui propose. Très utilisée dans le domaine de la mobilité, notamment pour guider le parcours physique des citadins en milieu urbain, elle peut également influencer les parcours digitaux d’achats et de ventes empruntés par les clients. En promouvant l’incitation sans contrainte pour faciliter l’engagement des clients, la théorie des nudges a donné naissance à de nouveaux types de fonctionnalités imaginées autour des “comportements par défaut”. Il n’est ainsi plus question de s’adapter au profil du client, mais de lui proposer une action récurrente dont il fixe les contours et pour laquelle il n’aura plus à s’interroger, comme le sont les mécanismes d’épargne automatisés les plus simples et répandus.

Dépasser la stratégie marketing pour agir en faveur du client

On observe donc que de nombreux établissements bancaires utilisent déjà ces stratégies sans les nommer ouvertement. Pourtant, d’autres types d’acteurs choisissent au contraire de les mettre en avant ostensiblement. C’est le cas de la start-up Dreams Technology, récemment rachetée par le fournisseur de solutions intégrées pour la mesure de l’impact carbone, Doconomy. La société promeut les travaux menés par son centre de recherche sur les sciences comportementales pour proposer des solutions visant à optimiser l’expérience utilisateur sur plusieurs axes, avec un concept central, celui de la définition concrète de ses “rêves”. Par exemple, le client détaille le projet de financement de son mariage à venir. Grâce à la contextualisation émotionnelle et à différentes techniques de motivation, Dreams Technology promet de réduire à la fois l’anxiété et les mécanismes de procrastination de ses clients. Ces derniers parviennent ainsi à stimuler leur épargne et à développer leurs investissements. Pour les aider à atteindre leurs objectifs, on les sollicite en célébrant leurs succès, en générant de la communication écrite et visuelle directement en lien avec leurs rêves et à laquelle ils s’identifient donc fortement, ou encore en proposant un catalogue de petites actions sur-mesure et faciles à mettre en place.

Qu’elles soient mises en avant ou non, les sciences comportementales semblent ainsi s’imposer dans le monde des finances personnelles grâce aux améliorations qu’elles permettent à la fois sur la compréhension des profils de client, mais surtout sur la capacité des banques à les orienter dans un sens qui leur est bénéfique, voire même contribue à leur “bien-être” financier. Dans un contexte de concurrence exacerbée, on peut penser qu’elles deviendront rapidement incontournables, même si des sujets éthiques pourraient se poser autour du concept d’”incitation”. À l’ère du neuro-marketing, l’apport des sciences comportementales pourrait être controversé.

Par Jennifer Habbouba Attal, Project Manager chez Square Management.

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