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RiskAssur

– le 04 janvier 2022

Dans son rapport du 24 novembre 2021, l’Autorité Bancaire Européenne (ABE) fait le point sur la mise en œuvre d’IFRS9 au sein des établissements financiers européens. Si elle note « des efforts importants dans la mise en œuvre d’IFRS9 par les institutions de l’UE », elle met aussi en garde sur « certaines pratiques comptables observées, en particulier dans le contexte de la pandémie de la Covid 19 ». 
Rappelons qu’IFRS9 est une norme comptable, entrée en vigueur le 1er janvier 2018 au sein des établissements bancaires. Permettant de compléter un mode de calcul de dépréciation pour pertes de crédit réalisées (en réaction) avec un mode de calcul pour pertes de crédit à venir (en anticipation), cette norme a pour objectif une gestion plus ciblée et surtout plus prospective des risques.
A peine deux ans après son entrée en vigueur, IFRS9 a dû faire face à la crise de la Covid 19 qui a immédiatement pointé ses faiblesses méthodologiques. Outre le caractère non prédictif de cette crise, il parait important de retenir de cette période que les concepts méthodologiques actuels ne permettent pas de quantifier correctement les impacts, souvent pluriels et à géométrie variable. Si le régulateur tente de poser un cadre pour maintenir une certaine homogénéisation des pratiques et garder une maîtrise de l’évaluation du risque faite par les établissements, la véritable réponse à la problématique est dans la main des établissements qui vont devoir investir pour développer des outils plus efficaces en termes de prédiction et de réactivité face à un choc.

Des concepts méthodologiques remis en question par la crise

Le concept méthodologique IFRS9 repose principalement sur 2 axes : D’une part l’évaluation de l’augmentation significative du risque de crédit (SICR) et d’autre part la modélisation du calcul des pertes attendues (ECL) incluant des projections prédictives (FLI).
Afin de déterminer ces deux composantes, les établissements ont massivement recours à la modélisation statistique de manière à évaluer l’évolution de la solvabilité de leurs clients, la qualité des actifs financés et des garanties associées. Cette mécanique, d’apparence très similaire à celle utilisée dans le cadre du calcul des exigences en fonds propres, est néanmoins complétée par des paramètres prospectifs (FLI), transformant ainsi le concept de pertes attendues à 1 an (EL) utilisé pour le calcul des exigences en fond propres (RWA), à un concept de perte de crédit attendue sur l’ensemble de la durée de vie d’un produit (ECL), propre à IFRS9.
D’un point de vue théorique, ce concept méthodologique oblige les établissements à évaluer leur portefeuille à une date donnée et à le projeter dans le temps en prenant en compte des perspectives macroéconomiques et des événements annonciateurs du défaut de leurs clients.
Nous voyons bien là la problématique liée à la survenance de la pandémie de la Covid 19, n’étant en aucun cas prédictive, ni dans sa survenance, ni dans ses impacts potentiels sur les établissements. Les circonstances extraordinaires de cette crise ont pour conséquence de pousser les modèles IFRS9 hors de leurs hypothèses de travail ordinaires, rendant ainsi l’aspect prédictible et atténuateur associé à IFRS9 incomplet voire inopérant. 

Réactions des établissements financiers : des enjeux qui dépassent l’unique cadre de gestion des risques

Lors de la survenance de la pandémie de la Covid 19, régulateurs et établissements financiers ont dû faire face à une situation inédite pouvant potentiellement atteindre la stabilité financière.
L’outil prédictif que représente IFRS9 n’a pas pu jouer son rôle de soupape. Fort heureusement, les interventions des gouvernements sont venues limiter les impacts systémiques de la crise, ne générant ainsi pas de défauts massifs dans les bilans des banques. Néanmoins, le retardement des impacts de cette crise, ou au mieux son atténuation, ne résout pas le problème du calcul du volume des dépréciations qui doit être passé dans les comptes pour faire face aux potentiels impacts à court et moyen terme. Les établissements ont alors pratiqué massivement des surcouches de provisionnement (overlays), dans le but de compléter le calcul statistique des pertes de crédit attendues. Cette pratique, construite sur des bases méthodologiques hétérogènes et plus ou moins robustes entre établissements, ne donne néanmoins que de faibles garanties sur une juste évaluation du niveau du risque.
Les provisions dépassent néanmoins l’unique enjeu de scoring du risque. C’est aussi un marqueur essentiel de rentabilité des établissements, elles impactent les fonds propres, et présentent des enjeux majeurs en termes de communication financière. D’où l’intérêt actuel particulièrement prononcé des régulateurs sur ces pratiques. 

La réaction des régulateurs et des enjeux méthodologiques d’envergure

C’est dans ce contexte que l’EBA, dans son document du 24 novembre, met en garde contre ces pratiques d’overlays, et insiste sur : i) la nécessité pour les établissements de prendre les mesures nécessaires pour intégrer ces impacts dans les calculs statistiques « le plus vite possible » et ii) prévient de la mise en place « d’une surveillance accrue » par le régulateur et les commissaires aux comptes de ces pratiques si elles étaient amenées à perdurer.
Sans mettre en difficulté les établissements pour l’instant, ils semblent vouloir poser un cadre et une urgence pour retrouver une évaluation plus appropriée des pertes de crédit potentielles, et veulent par cette occasion, retrouver la maitrise de l’évaluation micro prudentielle tout en sécurisant les relations avec les marchés.
Cependant, cette crise met en lumière une complexité méthodologique plus profonde que le simple fait d’énoncer ne suffit pas à résoudre. Outre le caractère non prédictif d’une crise telle que celle de la Covid 19, les concepts méthodologiques actuels ne suffisent plus pour prédire et absorber les impacts des crises financières futures. Les hypothèses de modélisation ne permettent pas une gestion suffisamment fine et complète de la mesure du risque. Le besoin d’accroitre la finesse des portefeuilles étudiés (secteurs d’activités, distinctions géographiques…) pose des enjeux majeurs de modélisation (identification, représentativité, prédictibilité…) auxquels les établissements ne semblent aujourd’hui pas en mesure de répondre.
A l’avenir, l’émergence de nouveaux risques, systémiques ou localisés, pourraient encore pousser les modèles en dehors des « hypothèses de travail ordinaires ». Si des investissements en R&D ne sont pas réalisés pour s’y préparer, il se pourrait que les établissements soient forcés d’effectuer un arbitrage entre : une « sur protection » au risque de pénaliser leur modèle d’affaires et donc leur rentabilité, ou une « sous protection » au risque de les rendre vulnérables dans des périodes de forte incertitude.
Par Morgan Teisset, Senior Manager Square.

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