Sélectionner une page

Agefi hebdo

– du 24 au 30 septembre 

De nombreux professionnels l’ont appris à leurs dépens : alors qu’ils paient régulièrement une prime d’assurance couvrant leur éventuelle perte d’exploitation, cette dernière n’a le plus souvent pas été indemnisée au moment de la crise du coronavirus. La raison : la pandémie est couramment une cause contractuelle d’exclusion de la couverture par l’assurance. Depuis, tout le monde s’accorde sur le fait qu’un dispositif conséquent doit être mis en place pour pallier la défaillance du système à protéger efficacement ces professionnels.

Des solutions faciles ?

S’il y a accord sur le principe, la mise en œuvre pose plus de difficultés.

L’idée première serait de considérer qu’il suffit d’ajouter la pandémie comme objet supplémentaire de garanties, à partir des contrats existants. Il conviendrait « simplement » d’augmenter légèrement les cotisations pour tenir compte de ce risque supplémentaire.
C’est ici que le bât blesse : la première objection donnée par une partie des assureurs est que ce risque de pandémie ne peut pas être un risque d’assurance. Un risque survenant de manière simultané sur l’ensemble d’un portefeuille (par exemple l’ensemble des restaurants de France) ne peut être mutualisé pour le rendre plus facile à absorber. C’est la principale différence avec les événements souvent comparés à la pandémie que sont les catastrophes naturelles et les attentats, qui sont plus localisés. L’argument est recevable, mais on peut imaginer que si la diversification du risque et l’aléa n’interviennent pas sur qui est concerné, ils interviennent néanmoins sur l’occurrence de l’événement lui-même (ici la pandémie), qui n’arriverait pas chaque année. Les primes des années sans pandémie serviraient alors à payer les années avec, avec possiblement une cagnotte initiale globale à tous les assureurs pour couvrir les premières années.

Une couverture à quel prix ?

Quand bien même se pose l’hypothèse d’un risque d’assurance, quelle serait l’évaluation de ce risque et de sa prime associée ? De manière simplifiée, si on connaît le coût de la pandémie et sa fréquence, la prime annuelle peut s’en déduire. Schématiquement, si on estimait qu’une pandémie causant à un assuré une perte d’exploitation de 100 000 € arrivait en moyenne une fois tous les 10 ans, on ferait payer à cet assuré au moins 10 000 € par an (serait à ajouter ensuite les coûts structurels de l’assurance et de son refinancement). En réalité, les données scientifiques et médicales manquent aujourd’hui pour que ces types d’estimations soient fiables : les marges d’erreurs sont conséquentes aussi l’assureur se devra d’y ajouter des coussins de sécurité pour garantir l’équilibre économique de sa couverture et ainsi ne pas compromettre sa propre solvabilité (et par ricochet systémique celle du secteur entier de l’assurance).
Autrement dit, les contrats existants seraient sensiblement plus chers et les premières évaluations menées sur la place évoquent au moins un doublement des prix pour couvrir ce risque de perte d’exploitation.

Que faire ?

Si on ne peut pas prélever des primes aussi élevées, il convient pour les diminuer de faire baisser les niveaux des indemnisations. D’où les idées qui circulent de limiter les pertes d’exploitation à un maximum ou à un forfait. Le problème est qu’en cas de sinistre, la perte subie peut s’avérer largement supérieure au montant indemnisé, ce qui peut entraîner les mêmes réactions en chaîne qui voulaient être évitées par le dispositif : faillites et chômage si aucune autre action n’est prévue. Le nouveau dispositif reste alors insuffisant, et doit nécessairement au moins être complété. Vraisemblablement par l’Etat, par exemple par l’intermédiaire de son réassureur la CCR.
Des dispositifs existants de cagnottes ou de fonds versés par les assureurs (souvent via les assurés) similaires à ceux des catastrophes naturelles et à ceux des attentats sont envisagés, mais comme dit précédemment les indemnisations globales sont ici d’un ordre de grandeur autrement plus important, tout le monde étant touché en même temps, la réponse resterait également partielle. Un enjeu important dans ces discussions réside aussi dans la définition retenue de l’événement déclenchant la garantie : est-ce la déclaration de pandémie par un organisme officiel comme l’OMS qui fait foi, ou est-ce la fermeture administrative obligatoire décidée par l’Etat qui compte ? Dans le premier cas, une instance française indépendante à caractère scientifique pourrait être plus pertinent en France que l’OMS, une éventuelle distinction par région pourrait même se faire. Dans l’autre cas, élargir le risque de perte d’exploitation à toutes fermetures administratives décidées par l’Etat pourrait ajouter des situations supplémentaires autres que la pandémie. Par exemple, il paraît légitime assurantiellement qu’une situation de guerre civile reste une clause d’exclusion.
Au constat que la somme totale à rembourser serait trop élevée, il reste la possibilité de réfléchir à la réduction du périmètre. Par exemple en sélectionnant en priorité les entreprises à la trésorerie réellement menacée, ou celles d’un secteur plus durement touché, etc.
Evidemment, personne ne souhaitera être écarté des discussions, le débat risque de rester houleux entre les différents lobbyes et d’être encore long avant d’aboutir à une solution satisfaisante…
Par Pierre-Yves Simon, consultant chez Square.
Share This