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Le Courrier Financier 

– le 3 juin 2022

Qu’est-ce que la finance décentralisée ou DeFi ?

Il est difficile de passer à côté de la notion de finance décentralisée ou DeFi, qui tient désormais une place incontournable dans le vocabulaire des crypto-monnaies. L’idée d’un système financier parallèle, basé sur la blockchain, réunit de nombreuses opportunités, et promet un idéal de finance désintermédiée, fluide, libre et ouvert. La DeFi peut-elle remplacer la CeFi (Finance Centralisée)? Va-t-elle révolutionner la finance?

La finance décentralisée s’appuie sur la blockchain, technologie qui a pour caractéristiques d’être infalsifiable grâce au chiffrement, et d’être transparente parce qu’elle est publique. Elle offre aussi deux avantages majeurs: elle permet de faire des opérations en temps réel et de les rendre programmables. On obtient donc des transactions quasi immédiates, auxquelles on peut associer des conditions de réalisation et les automatiser grâce aux “smart contracts” (i.e contrats intelligents).

La finance décentralisée réunit les initiatives qui proposent des services financiers désintermédiés, c’est-à-dire, sans tiers de confiance et la blockchain permet de déplacer la confiance du tiers vers la technologie. L’idée est de limiter l’intervention des intermédiaires traditionnels: banques, sociétés financières, organismes d’État etc.. et donc, d’aller plus vite, avec moins de frais et de manière sécurisée. Voici donc cinq notions à suivre si vous souhaitez garder le fil de la DeFi.

La standardisation des tokens 

La plupart des acteurs de la finance décentralisée développent leurs offres sur le réseau Ethereum, qui est une blockchain publique et la seconde plus grande plateforme après le Bitcoin. Ces derniers développent des applications décentralisées, qui fonctionnent grâce à des mécanismes de consensus. Elles ne dépendent donc pas d’une entité centrale, mais sont basées sur des registres distribués. Pour qu’elles puissent fonctionner entre elles, il est important d’en garantir l’interopérabilité, c’est-à-dire leur interconnectivité.

La norme ERC-20 est un cahier des charges établi en 2015 pour les jetons créés sur la blockchain Ethereum. Cette norme permet à tout token sur Ethereum d’être réutilisé par d’autres applications : des portefeuilles aux échanges décentralisés. C’est cette standardisation qui permet l’interopérabilité.

L’articulation autour de d’ERC-20 est aussi vecteur de confiance pour les investisseurs et les utilisateurs, une forme de garantie sur la fiabilité technique des actifs générés sur Ethereum. L’existence de normes et de standards montrent que l’écosystème se structure et que ses usages se démocratisent.

Les stable-coins et actifs synthétiques

Les « stable coins » permettent d’obtenir une exposition à un actif sans avoir à le posséder. Ce sont des monnaies digitales stables, indexées sur une monnaie fiduciaire tel que le dollar ou l’euro, sur des matières premières ou toute autre source de valeur perçue comme fiable. On peut considérer un actif synthétique comme une sorte de produit dérivé. C’est en fait la représentation digitale d’un actif réel.

Cela permet de se protéger de la volatilité de la crypto monnaie, et de retirer ces dernières sans avoir à les convertir en monnaie fiat, servant ainsi de valeur refuge et de monnaie pivot aux investisseurs.

En quoi cela intéresse la DeFi ? Grâce aux stable coins on échappe à la volatilité des crypto monnaies tout en restant dans un univers « 100% crypto ». S’affranchir de cette perception d’instabilité permet de se rapprocher de la monnaie classique et de démocratiser une multitude d’usages, crédit, épargne, paiement, investissement.

Les prêts automatisés

Il s’agit d’une version décentralisée du marché des crédits. Des entités physiques ou morales peuvent accorder des crédits à d’autres entités de façon désintermédiée.

Les obligations contractuelles des deux parties, ainsi que le paiement des intérêts aux créanciers sont gérés par des smarts contracts.

La particularité des prêts de la DeFi est la collatéralisation. Par exemple, lorsque la banque vous prête de l’argent, le collatéral, c’est vous avec vos revenus, votre historique bancaire… Le collatéral utilisé dans les prêts décentralisés, ce sont vos crypto-monnaies. Vous déposez vos crypto-monnaies en les verrouillant dans un smart contract et vous empruntez un montant dans une autre crypto monnaie, en stablecoin ou en monnaie traditionnelle.

Mais pourquoi ne pas simplement vendre ses actifs en cryptos pour avoir des liquidités? Pour plusieurs raisons: pour couvrir des dépenses imprévues en évitant de vendre ses actifs et les laisser prendre de la valeur, pour différer le paiement de l’impôt sur les plus-values, ou pour des opérations purement spéculatives.

Les marchés automatisés

Les marchés automatisés fonctionnent de la même manière qu’une bourse, mais sans contrepartie. Le protocole utilisé est l’AMM (automated market maker), un mécanisme d’échange autonome. Sur une plate-forme de négociation décentralisée, chacun peut devenir un teneur de marché (market maker en anglais) et percevoir des frais pour fournir des liquidités.

Oui, cela semble compliqué, mais en réalité c’est très simple. Définissons d’abord la notion de teneur de marché dans la finance traditionnelle: c’est un acteur financier — une banque ou un trader par exemple — qui s’assure que les échanges boursiers soient plus stables et efficaces. Pour cela il se charge de vendre des actifs aux investisseurs et d’acheter des actifs auprès des acteurs qui cherchent à vendre. Cela permet la liquidité du marché.

Sur un marché décentralisé un teneur de marché n’est pas nécessaire pour effectuer une transaction. Les investisseurs négocient avec un contrat intelligent qui assure la liquidité des marchés avec des formules mathématiques.

Les protocoles d’investissement automatisés

Dans la DeFi, l’une des notions les plus importantes est le Yield Farming, qui signifie littéralement “agriculture de rendement”. Nous avons parlé plus haut des prêts déviés et des marchés automatisés. Pour faire travailler leurs actifs numériques les utilisateurs prêtent et empruntent des crypto-monnaies et/ou fournissent des liquidités sur les marchés. C’est cette pratique que l’on appelle le Yield Farming.

Les investisseurs qui cherchent à augmenter leur rendement peuvent employer des stratégies plus complexes. Par exemple, en déplaçant leurs actifs entre plusieurs plateformes de prêt pour optimiser leurs gains. Pourquoi cela nous intéresse? Ces stratégies d’investissement peuvent être automatisées avec des smart contracts qui gèrent des protocoles d’investissement et permettent de prendre des décisions d’achat et de vente préprogrammées pour les clients en fonction d’algorithmes et de variables.

Pour les investisseurs, il suffit de déposer ses cryptomonnaies et laisser les contrats intelligents opérer les stratégies d’investissement les plus rentables.

Environ 200 milliards de dollars sont « verrouillés » dans des smart contracts dans la finance décentralisée et considérés comme étant à risques. La DeFi est un marché non régulé qui comporte des risques importants. Les principales questions à se poser à ce stade sont: dans quelle mesure les investisseurs veulent-ils prendre des risques et quel est leur niveau de confiance dans le système décentralisé?

Nous ne sommes pas encore à une échelle ou l’on peut parler du remplacement de la finance traditionnelle. Mais, l’intérêt croissant du public pour les cryptomonnaies laisse transparaître un futur prometteur pour les applications de la DeFi. Nous naviguons sur un terrain d’innovation technologique qui peut créer des ponts entre CeFi et DeFi. La première peut bénéficier de la rapidité, de l’interopérabilité et des faibles coûts de la deuxième. Quant à la DeFi, elle peut bénéficier de la réassurance et de la maturité de la finance centralisée.

Par Lina Bendifallah, Consultante Senior Square.

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