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Chef d’Entreprise

– le 31 mai 2021

166 sociétés à mission sont à ce jour déjà recensées par l’Observatoire des Sociétés à Mission. Interpellés par les multiples crises actuelles, de nombreux dirigeants et comités exécutifs cherchent à repenser la place de leurs entreprises dans le tissu socio-économique. Première étape vers la qualité de société à mission, la rédaction de la raison d’être parait simplissime. Et pourtant, c’est un choix délicat et structurant. Voyons comment trois raccourcis trop vite choisis peuvent perdre votre organisation au lieu de la guider.

Ces formulations de raison d’être qui inhibent la capacité d’innover

De prime abord le lien entre raison d’être et stratégie d’innovation n’est pas évident. Pour beaucoup, la raison d’être est la prolongation d’une politique RSE. Il s’agirait d’associer à une vision des responsabilités environnementales et sociales. Ainsi un constructeur d’automobile soucieux de ses impacts pourrait se laisser abuser par une raison d’être prometteuse telle que » être le constructeur d’automobiles qui neutralise ses émissions CO2″. Ainsi rédigée, que l’ambition soit grande ou insuffisante, elle serait surtout une catastrophe. En effet, avec une telle raison d’être, comment conserver une agilité stratégique, sortir au besoin du marché de l’automobile et investir un champ stratégique plus large tel que celui de la mobilité ?

Trop de décideurs négligent le fait que la formulation d’une raison d’être est à la fois un pivot entre le passé et le devenir de l’entreprise et le big bang d’une stratégie d’innovation. Pour Kevin Levillain, enseignant chercheur à Mines ParisTech et auteur de l’ouvrage » Les Entreprises à mission » (éditions Vuibert), il est question de » modéliser la mission comme l’ensemble des propriétés des futures stratégies à concevoir”.

Ces formulations de raison d’être qui nient la dimension collective des entreprises

Un deuxième piège consiste à travailler la raison d’être en vase clos. Alors que l’enjeu final est de repenser la place de l’entreprise au sein de son écosystème, nombreux sont les membres de comités exécutifs qui n’interrogent ni le middle management, ni les collaborateurs, ni les actionnaires, ni (surtout !) les partenaires sur la vision et le sens futur de l’entreprise. Dans ce cas, comment réellement comprendre les responsabilités, les tensions et les enjeux qui lient l’entreprise à son réseau ?

D’une bonne action la démarche sous une forme top-to-bottom devient vite frustrante et fastidieuse en invitant tous les étages de l’entreprise à exécuter plutôt qu’à proposer, à réfléchir en closed innovation plutôt qu’en open innovation. Comment, avec une telle approche auto-centrée, l’entreprise pourrait-elle mieux répondre à des enjeux communs et sociétaux ?

Ces raisons d’être dont on oublie de valoriser l’objectif commun de conception

Pour Chester Barnard, président de plusieurs firmes américaines et précurseur de la théorie des organisations, trois éléments sont vitaux pour ériger une organisation : un système d’activité, une capacité de communication, la volonté de contribuer à un objectif commun. Quand une entreprise conçoit un nouveau produit ou service, c’est cet objectif commun qui se concrétise. Or l’entreprise conçoit rarement seule, sans partenaire. Ceux qui contribuent, ceux qui distribuent, ceux qui adhèrent sont indispensables.

Pensons par exemple à l’écosystème qu’a mobilisé Apple au moment de faire ses premiers pas dans l’industrie de la musique. Ce common purpose est une forme de mission formulée afin d’engendrer l’adhésion autour d’un futur souhaitable à concevoir. Une raison d’être décorrélée des activités de conception est donc futile, ou pire, contre-productive. La raison d’être doit être identiquement comprise par tous ceux qui y participent.

Nous l’avons vu, derrière l’entreprise à mission apparaissent à la fois des idéaux nobles, des perspectives ambitieuses mais aussi une concrétisation risquée, surtout dans un 21è siècle aux lignes directrices de plus en plus incertaines. La formulation de la raison d’être est l’écueil le plus déterminant, celui qui nécessite la manoeuvre la plus habile pour réellement ouvrir de nouveaux horizons.

Par Tony Da Motta Cerveira et David Satta, Senior Managers chez Square.

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