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Journal du Net

– le 1er avril 2022

L’engrenage de la hausse continu des matières premières et de l’effondrement des marchés boursiers et des profits ouvre les yeux sur la vulnérabilité criante des entreprises françaises qui ont, pour la plupart, des activités et des participations russes. Comment en est-on arrivés là ? Cette situation aurait-elle pu être anticipée et peut-on minimiser les pertes ?

Il y a près de 200 ans, le 22 novembre 1812, la Grande Armée se retrouve bloquée par la Bérézina et encerclée par l’Armée russe. Acculé, Napoléon décide de franchir le fleuve coûte que coûte. Il y parviendra certes, et finira vainqueur de cette tragique bataille, mais au prix de pertes considérables et d’une fragilisation de la Grande Armée, non sans conséquences sur la chute finale du Premier Empire. 

Les entreprises se retrouvent aujourd’hui dans une situation quelque peu similaire, acculées par la fuite en avant des prix de leurs intrants d’une part, et de leur dépendance à la Russie pour leur fourniture d’énergie d’autre part, à défaut de pouvoir compenser par d’autres alternatives. Les matières premières affichent une hausse en continu depuis le déclenchements des hostilités et le 7 mars, le Brent atteint presque les 140 dollars, et la hausse de 17% sur le gaz se répercute notamment sur le blé et les métaux (nickel, cuivre, aluminium, zinc).

Résultat : effondrement du cours de bourse et engrenage chute des profits-hausse des coûts. Le 24 février dernier, le CAC 40 perd plus de 4% à l’ouverture ; à titre d’exemple, la Société Générale, fortement exposée via sa participation majoritaire à sa filiale russe Rosbank, s’effondre de plus de 11% le 7 mars. L’impasse dans laquelle se trouve ces entreprises nous amène à questionner leur dépendance : comment en sont-elles arrivées à un tel degré de vulnérabilité ? N’ont-elles pas tiré les leçons de la crise COVID ?

Il semblerait que non. Une fois encore, il faut attendre une rupture conjoncturelle radicale pour remettre en question leurs pratiques de pilotage. Comme pour la crise COVID, les entreprises se réveillent et réalisent l’importance de la résilience et de préserver leur autonomie stratégique. 

Nous l’avons vu avec les chocs précédents (crise financière de 2008, COVID), les entreprises qui avaient mis la résilience au cœur de leur pilotage stratégique ont pu anticiper et amortir le choc sur leur performance, voire l’augmenter pour celle qui ont su tirer profit de la crise. Ces entreprises résilientes savent en effet pivoter en reconfigurant leur stratégie et leur modèle d’affaires associé, pour s’appuyer sur d’autres leviers de performance que ceux affectés par le choc, et en développer de nouveaux. 

Pour ce faire, les entreprises doivent chercher la pérennité de la performance et penser long terme en cherchant avant tout la création de valeur sur les aspects multidimensionnels de la performance via le renforcement des ressources et capacités propres et autonomes de l’entreprise qui permettra la résilience et des gains de rentabilité. De là, il sera possible de créer et d’identifier les gisements de valeur qui ont le plus fort impact sur leur performance et de les exploiter comme leviers de performance à privilégier en situation de rupture. Par exemple, investir dans la transition énergétique, les jumeaux numériques, la R&D, diversifier ses approvisionnements sur les activités à plus forte valeur ajoutée. 

Il convient donc de réfléchir en termes de valeur pour développer la résilience et l’autonomie stratégique, et s’y appuyer pour piloter la performance et la maintenir, ou l’augmenter, même en cas de choc. La tragédie de la crise actuelle, espérons-le, pourra servir de déclic pour que les entreprises remette enfin la valeur au cœur de leur stratégie. 

Par Anna Souakri, Chercheure Square.

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