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Les Echos

– le 26 août 2020

La création en juillet d’un ministère de la Transformation et de la Fonction publique affranchi de la tutelle de Bercy est un signal fort. Il faut maintenant transformer cette ambition en actes, écrit Arnaud Frémont.
Le gouvernement s’apprête-il enfin à agir en profondeur sur la transformation publique ? Le 6 juillet 2020, la députée LREM de l’Essonne Amélie de Montchalin a été nommée ministre de la Transformation et de la Fonction publique.

Pour la première fois depuis le début du quinquennat, ce ministère s’affranchit de la tutelle institutionnelle de Bercy. Cela signifie que la boussole n’est plus uniquement financière. Peut-on enfin espérer que le moment de la transformation publique est venu ?

Même si l’information n’a été que peu remarquée et commentée, le fait que la transformation publique soit intégrée dans un ministère de plein exercice et sorti du périmètre du ministère des finances constitue un signal fort. En effet, cela signifie que la boussole n’est plus uniquement financière et traduit une volonté assumée de développer une stratégie globale du sujet. Avec cette nomination, peut-on enfin espérer que le moment de la transformation publique est venu ?

De réelles opportunités 

Dans une note récente, l’Institut Montaigne faisait part des défis et opportunités que la crise sanitaire a révélés. Ainsi, il distingue de véritables opportunités pouvant contribuer à la transformation de l’action publique. Parmi elles, nous en distinguerons trois, particulièrement mises en lumière durant le confinement.

D’abord l’engagement massif de ceux qui sont « en première ligne » : les soignants, les hôtes et hôtesses de caisse, les personnels des transports, les enseignants mais également des volontaires souhaitant porter main forte. Par exemple, au plus fort de la crise, plus de 20 000 personnes bénévoles (la plupart en chômage partiel) se sont inscrites sur une plateforme créée par l’APHP pour prêter main forte aux soignants, permettant ainsi de « recruter » plus de 1250 bénévoles sur près de 170 missions au sein des hôpitaux de Paris. L’institut note « la mobilisation des équipes chargées de la gestion de crise a permis de faire face aux urgences, et, souvent, de dépasser des blocages jusqu’ici jugés insurmontables. Les équipes chargées de la mise en œuvre des outils numériques ont joué un rôle crucial, à l’image de l’Agence du numérique en santé ».

Ensuite, au-delà des hommes et des femmes, l’Institut Montaigne souligne également la capacité de résilience des administrations. Elle a permis d’assurer la continuité du service public dans les secteurs de la santé, de l’éducation ou encore des transports. Dans cette configuration exceptionnelle, les contraintes ont été libérées et la prise d’initiatives a été plus forte.

Enfin, nous noterons une aptitude inattendue à l’innovation. Les administrations ont su se réinventer rapidement autour d’un télétravail massif de leurs agents et du déploiement tactique de nouveaux outils numériques. Ainsi, la « boite à outil » s’est étoffée avec des solutions collaboratives, de messagerie (Tchapi) ou de réunions en ligne (Jitsi), permettant le maintien de l’activité à distance et le renforcement des transversalités.

Le numérique comme levier de transformation

Différents constats orientent clairement vers une accélération de la digitalisation de l’Etat. Logiquement la mission assignée au nouveau ministère de la Transformation et de la Fonction publiques est explicite : il « promeut les actions propres à accélérer la transformation numérique de l’État […] et suit le développement et l’amélioration des usages et services numériques ». Le numérique occupe donc une place centrale dans les objectifs de la transformation de l’État.

La nouvelle feuille de route pourrait inclure plusieurs chantiers. Dans un document de travail de l’École Nationale d’Administration (ENA), datant de 2019, plusieurs axes de transformation sont suggérés. En premier lieu, celui de la transition numérique. Axe central de la politique de réforme de l’État depuis le début des années 2000, cette transformation doit être poursuivie, notamment autour des enjeux de « pilotage et de la transformation du système d’information de l’État et celle de l’État plateforme ». En second lieu, celui du service aux usagers. Cet axe doit renforcer les moyens d’interagir avec les citoyens (les téléservices) mais également leur accessibilité (notamment à travers une meilleure couverture réseau dans les zones rurales). Il doit également se doter d’une stratégie ambitieuse de mesure, de suivi et d’amélioration de « l’expérience usager » donc celui de la satisfaction de la qualité du service public offert. En dernier lieu, cette transformation numérique doit être mise en œuvre dans une perspective de maitrise des dépenses publiques. En effet, « l’e‑administration », l’émergence de nouveaux modes de management et d’organisation ou encore l’open-data sont autant de sources d’efficience.

Si nous ne pouvons que souscrire à ces propositions, restons néanmoins lucides. Aussi nécessaires que soient ces intentions, une telle transformation ne peut se faire sans un accompagnement des agents publics à la hauteur du changement envisagé.

L’agilité comme moyen d’accompagnement

Plusieurs moyens seront mis à disposition du ministère pour accompagner et réussir cette transformation. Ainsi, deux directions, la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) et la Direction interministérielle du numérique (DINum) serviront de point d’appui. Leurs travaux actuels pourront contribuer à la construction d’une feuille de route ambitieuse.

Au-delà des moyens institutionnels, l’un des outils pédagogiques pouvant permettre un accompagnement efficace de la transformation est l’agilité. Afin de répondre à la critique d’un fonctionnement trop vertical de l’administration, l’introduction de l’agilité permet d’apporter davantage de souplesse, de flexibilité et d’accroitre la capacité d’adaptation des acteurs publics. Ceux-ci ont d’ores et déjà intégré le fait que le recours à cette méthode est nécessaire. Lors des Rencontres des Acteurs Publics qui se sont tenues du 6 au 10 juillet 2020, une conférence s’intitulait « Des services publics plus agiles : une nécessité face aux périls et aux crises ». Les intervenants évoquaient ainsi le besoin d’insuffler au sein des administrations davantage d’agilité pour plus de transversalité et répondre mieux et plus vite aux attentes des usagers.

In fine, la récente crise sanitaire a certes suscité des doutes et des inquiétudes. Mais elle a aussi et surtout révélé une forte capacité de résilience, d’adaptation et de mobilisation de la part des administrations. Dans ce contexte, le renforcement du ministère en charge de la transformation de l’Etat est un signal fort, celui d’une prise de conscience, d’une ambition et d’une approche renouvelées. Il appartient désormais à chaque administration, chaque service, chaque agent de s’approprier cette feuille de route, de cerner les moyens à sa disposition et d’inventer le service public de demain, efficient pour le citoyen-contribuable, agréable pour le citoyen-usager et pérenne pour l’Etat-stratège.

Par Arnaud Frémont, consultant chez Square.
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