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La Tribune

– le 30 mars 2022

L’élection présidentielle française de 2022 approche à grands pas, le 1er tour est prévu pour le 10 avril 2022. Si les sondages restent l’apanage des méthodes statistiques des systèmes électoraux, les élections des dernières années à travers le monde ont montré l’utilisation extensive de méthodes d’analyse de données comme outils essentiels pour les équipes des candidats.
Quels sont les outils et méthodes d’analyse utilisés par les équipes de campagne et quels avantages peuvent apporter ces nouvelles méthodes dans le jeu électoral moderne ? Tour d’horizon de ces nouvelles pratiques.

Analytique & élections : une pratique récente

De nombreux domaines ont bénéficié des avancées du numérique et du Web 2.0. L’augmentation de la capacité de calcul des ordinateurs et du volume de données générées et exploitées a permis la création et le développement de nombreux produits et services, révolutionnant les secteurs économiques et l’organisation sociale. Au cœur de ces enjeux, une discipline : la science des données (Data Science), dont le but principal vise à extraire des connaissances à partir de cette masse considérable de données.

Un domaine en particulier a profité de cette véritable révolution dans les affaires numériques au cours des années 2010, le monde de la politique et ses campagnes électorales. L’exemple américain est riche d’enseignement, le pays précurseur du Web 2.0 l’a également été dans le domaine de l’analyse des données des élections. Lors de la présidentielle U.S. de 2012, opposant les candidats Barack Obama et Mitt Romney, les équipes de campagne de chaque candidat avaient alloué presque 80 M$ dans des campagnes publicitaires en ligne, dont l’efficacité repose notamment sur la capacité à cibler un profil spécifique d’électeur. La campagne électorale avait alors donné lieu au développement d’applications collectant des données de votes, utiles pour le suivi du taux de mobilisation de groupes d’électeurs spécifiques et leur ciblage par des messages d’incitation à se rendre aux urnes.

Lors de l’élection précédente (2008), la victoire de Barack Obama reposait déjà sur une stratégie de communication sur les réseaux sociaux mettant en scène les prémices de l’exploitation d’une masse considérable de données qui s’avéreraient alors un outil incontournable des campagnes électorales. Plus récemment et plus proche des enjeux électoraux français, l’élection présidentielle 2017 avait été l’occasion de déployer des méthodes similaires. Ainsi la campagne électorale menée par les équipes d’Emmanuel Macron reposait sur l’utilisation extensive du Big Data, avec par exemple l’outil de cartographie électorale proposé par la start-up française LMP (désormais eXplain).

Les méthodes du marketing numérique appliquées au citoyen

Au cœur des enjeux liés aux données électorales se trouvent les méthodes du marketing numérique, qui concerne l’ensemble des techniques de marketing utilisées sur des réseaux internet et mobile. Ce marketing en ligne vise à exploiter tout le potentiel offert par les outils web en matière de communication avec le client, l’interactivité y jouant un rôle majeur. Les données clients exploitées dans le cadre de cette démarche marketing permettent de mieux définir un profil client et d’adapter la communication à ce profil, dans la lignée des techniques de micro-segmentation et de ciblage client.

Si le marketing numérique vise à faciliter la vente de produits et services en exploitant les données de l’utilisateur, l’analytique électorale s’inscrit dans cette même philosophie où les produits marchands sont remplacés par les candidats et la clientèle cible par l’électorat.

Les méthodes et outils en pratique

L’utilisation de l’analytique dans le domaine électoral a donc permis le développement de tout un spectre de techniques utiles pour les candidats : analyse des réseaux sociaux (veille des thèmes de campagne et réactions des utilisateurs), outils de cartographie électorale, détermination du profil des électeurs, détermination des canaux de communication adaptés pour l’électorat cible avec le choix en matière de plateforme, de format et d’intermédiaires (recours à des influenceurs par exemple), suivi de la mobilisation de l’électorat, adaptation de la communication à un électorat cible ou encore l’analyse prédictive, permettant d’évaluer avec le plus de précision possible les intentions de vote pour un candidat au sein d’une population électorale spécifique.

Si ces nouvelles méthodes sont appelées à révolutionner la manière de réaliser des campagnes électorales, certains obstacles demeurent. Ainsi, elles nécessitent la mobilisation d’expertises poussées et l’accès à des sources de données volumineuses et variées (données démographiques, socio-économiques, géographiques, données d’utilisateurs des réseaux sociaux et autres applications…). En plus des difficultés propres à la collecte et au traitement des données s’ajoute la nécessité de les mettre à jour régulièrement, en effet les modèles prédictifs des campagnes électorales doivent mobiliser les données les plus récentes afin de fournir une information pertinente et précise pour les équipes de campagne.

Entre quête de légitimité et difficultés

L’analytique électorale a déjà fait la démonstration de sa pertinence en tant qu’instrument essentiel dans différentes élections d’envergure nationale, son usage est voué à se développer davantage afin de devenir un outil indispensable pour la conduite des campagnes électorales.

Si le développement de cette pratique constitue un changement radical de paradigme pour la construction d’une stratégie électorale, elle n’en demeure pas moins émaillée de difficultés sur le plan légal et éthique, comme en témoigne certains scandales tels que celui de Facebook-Cambridge Analytica, où les données personnelles de plusieurs dizaines de millions de comptes Facebook avaient été utilisées sans le consentement explicite de leurs utilisateurs afin d’influencer leurs votes dans diverses élections, telle que la présidentielle U.S. de 2016.

La question de la légitimité de l’usage de certaines données demeure fondamentale, de même que l’influence, voire la manipulation que ces données pourraient créer sur une élection. Les questionnements éthiques entourant l’analytique électorale sont appelés à prendre une place toujours plus grande à mesure que ces outils feront l’objet d’un véritable plébiscite au sein des équipes de campagne.

En attendant que l’analytique électorale se démocratise, il conviendra d’évaluer l’impact réel de cette pratique sur le vote. En ce qui concerne la France, rendez-vous le 10 avril pour un début de réponse. « A voté ! »

Par Sofian Mzali , Consultant Senior Square.

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