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Mind Fintech.fr

– le 19 octobre 2021

Fin juin 2021, Facebook a annoncé le lancement imminent d’un portefeuille numérique baptisé “Novi” permettant de stocker “Diem”, la cryptomonnaie de Facebook anciennement nommée Libra. Fin août, Mark Zuckerberg a déclaré la mise sur le marché d’une offre de crédit à destination de petites et moyennes entreprises indiennes. Ces nouvelles annonces ont relancé les débats concernant la croissance des GAFAs dans le secteur financier et ont par la même occasion ravivé les inquiétudes des banques dites “traditionnelles” – les “incumbents“-, pour les distinguer des banques en ligne, arrivées sur le marché plus tardivement et dont l’offre est complètement dématérialisée. Les GAFAs sont considérées comme une menace grandissante pour les acteurs bancaires traditionnels. Et pour cause : ces entreprises disposent d’importantes bases de clients et d’atouts considérables en matière de collecte, d’analyse et d’exploitation des données et bénéficient d’effets de réseau. La combinaison de ces forces fait craindre une domination du marché dans une logique de winner-takes-all et de verrouillage du secteur.
Il est vrai que le secteur bancaire connaît de très importantes mutations : dans un contexte combinant aussi les législations européennes DSP2, les évolutions technologiques et les nouvelles attentes des consommateurs. Globalement, ces évolutions ouvrent la voie à un nouveau modèle bancaire, désigné généralement sous le terme d’Open Banking : il s’agit d’un modèle dans lequel les données bancaires sont partagées entre plusieurs parties non affiliées afin de fournir de meilleures capacités au marché et des solutions améliorées et personnalisées pour le client. Ainsi, de nouveaux entrants offrant de nouvelles propositions de valeur bouleversent les standards et les structures concurrentielles. A l’ère de l’Open Banking, les banques traditionnelles opèrent une transformation de leur modèle d’affaires vers un modèle appelé “Bank-as-a-Platform“. Ce modèle consiste à intégrer des propositions de valeur d’acteurs externes afin de proposer à leurs clients un point d’accès unique à une variété d’offres allant au-delà des solutions que les banques ont l’habitude de proposer.

Approche écosystémique

Analyser ces transformations invite aussi à s’intéresser au renouvellement des approches et des grilles d’analyse utilisées en management stratégique. En effet, le phénomène de plateformisation des activités renouvelle une partie de l’analyse stratégique en distinguant deux approches complémentaires et différenciées. La première approche s’inscrit dans le prolongement des modèles d’analyse stratégique existants et est particulièrement adaptée à une conception verticalement intégrée de la chaîne de valeur. Elle se concentre sur les clients et cherche à identifier les canaux les plus pertinents pour les atteindre et les partenaires à intégrer aux projets pour les servir. Or, une plateforme est par définition composée d’un acteur central et d’une périphérie d’acteurs complémentaires : dès lors, le phénomène de plateformisation mériterait d’être analysé selon une seconde approche de type “écosystémique”. Empruntée à l’écologie et transposée par James Moore aux sciences de gestion, cette approche repose sur l’identification des capacités qui confèrent un avantage comparatif à la firme, les écosystèmes susceptibles de bénéficier de ces capacités et les relations permettant d’intégrer ces écosystèmes. Concrètement, les acteurs cherchent à co-créer des activités avec des partenaires qui présentent des complémentarités. Par exemple, en lançant son programme de prêts sans garantie aux PME indiennes avec Indifi, Facebook bénéficie de l’expertise de son partenaire en matière de micro-crédit, tandis que la plateforme offre des opportunités commerciales aux PME (par le biais de la publicité et de la vente via le réseau social), ce qui facilite le remboursement des crédits.

L’analyse stratégique à la lumière de l’approche écosystémique montre qu’il existe d’autres stratégies que celles prises par les banques traditionnelles ces dernières années : ces banques qui définissent les orientations de leur stratégie de plateformisation avant même d’y associer les partenaires. En effet, les banques semblent donner la priorité à une approche centrée sur les clients et leurs besoins, avant d’y intégrer les partenaires. Par exemple, le Crédit du Nord a imaginé 23 univers serviciels (e.g. quotidien, immobilier, activité à l’international) regroupant des offres extra-bancaires qui correspondaient aux attentes de leurs clients. Puis, la banque a choisi de déployer huit univers pour lesquels ils ont sélectionné des partenaires. Si cette initiative manifeste l’existence d’une réflexion stratégique ayant abouti à une initiative concrète, et si la démarche adoptée permet de répondre aux besoins actuels des clients, elle ne favorise pas nécessairement les synergies durables offertes par les dynamiques écosystémiques. Or, l’évolution vers un modèle d’affaire plateformisé implique la mise en place d’une culture de croissance fondée sur la collaboration et la co-innovation avec les partenaires.

En somme, si l’analyse stratégique classique envisage la plateformisation bancaire avant tout comme l’identification de nouvelles activités et comme un moyen de faciliter le go-to-market, elle ne permet pas d’apprécier et d’exploiter et toutes les ressources et les capacités dont la banque dispose et qu’elle pourrait valoriser. Dès lors, l’intégration de la grille écosystémique à un cadre d’analyse stratégique peut s’avérer particulièrement intéressante pour pouvoir faire de la plateforme un levier de performance et de création de valeur davantage maîtrisé.

Par Matilde Guilhon, consultante et Chercheuse au sein du Square Research Center.

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