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Le Journal du Net

– le 21 novembre 2022

Choisir le produit qui a traversé de nombreuses vies antérieures au détriment de sa version neuve devient de plus en plus populaire. Dans cette course, le Web 3.0 semble en avantager certains…
Tandis que le réchauffement climatique prend de l’ampleur, le produit neuf n’est plus une évidence. Ainsi, les plateformes de reventes d’articles de mode telles que “Vinted” ou “Vestiaire Collective” n’ont jamais été aussi populaires. Face à ces pure players, comment les marques de luxe parviendront-elles à s’en sortir ?

Les gagnants de la course à la seconde main

À l’heure où l’Europe atteint les 10% d’inflation, le marché de la seconde main se montre de plus en plus intéressant. Pour tous, il donne le privilège d’offrir une nouvelle vie à ce que l’on n’utilise plus, d’économiser sur l’achat d’articles indispensables, de favoriser la qualité au détriment de la facilité, de redonner vie au vintage… Ces avantages multiples attirent naturellement de nouveaux consommateurs comme la classe moyenne ou, plus particulièrement, la génération Z éprise d’écologie dans un monde de plus en plus connecté.

Au cœur de ce marché, déjà estimé à 86 milliards d’euros en Europe, et prévu pour croître de 15% à 20% par an, le secteur de la mode prime sur tous les autres. En réalité, après une popularité accrue de la polluante “fast fashion”, produisant à toute vitesse des vêtements modestes en son sein, la rumeur dit qu’il verra très certainement la seconde main la dépasser à coup sûr dans les prochaines années.

Ayant progressé de 140% entre 2019 et 2021, les plateformes e‑commerce de seconde main en sont fermement responsables puisqu’ “elles détiennent 60% du marché de la mode en ligne”. Propulsée par la crise mondiale de la Covid 19, la plateforme lituanienne Vinted, un des leaders sur le secteur de la mode d’occasion, permet aujourd’hui à près de 50 millions de “vinties” de monétiser leur garde-robe. Si elle réalisait déjà 70% des achats en 2020, Vinted est de nos jours fortement concurrencée par de nombreuses plateformes telles que Vestiaire Collective dont le business model inspire clairement une mode plus responsable. Disposant de 550 000 nouveaux articles par semaine, cette dernière se concentre sur le secteur du luxe, dont les valeurs et la clientèle n’étaient vraisemblablement pas celles que l’on avait prévues.

Les marques de luxe rivalisent

Si la “fast fashion” prônant la mode à bas coût et la surproduction de vêtements neufs ne rimaient en rien avec l’unicité, la rareté, l’authenticité et les tarifs élevés du secteur du luxe, il est tout aussi difficile pour les marques de s’associer aux prix souvent bradés de la seconde main. Mais dans un monde d’urgence climatique, elles ont trouvé beaucoup plus de points communs que l’on ne peut l’imaginer, car selon la fondation Hermès, “le luxe, c’est ce qui est durable, réparable, ce qui se transmet”. Faisant vivement écho aux valeurs de la seconde main où la majorité des consommateurs s’y retrouvent pour y trouver un produit rare, le luxe d’occasion devrait connaître un taux de croissance annuel de 10 à 15% sur les dix prochaines années.

Ainsi, certaines maisons de luxe tentent de gérer elles-mêmes leur propre marché de seconde main à l’image de la marque Gucci proposant une sélection de pièces vintage fraîchement remises à neuf par des artisans de la maison à l’aide de son site en ligne GucciVault. Malheureusement, ces opportunités sur le marché de seconde main sont nettement étouffées par celles qu’offrent les pures players multipliant les publicités au public. Ayant compris leur force de frappe, certains nouent des partenariats tel que le groupe Kering qui a pris 5% du capital de Vestiaire Collective en 2021.

Ce marché mené par les géants désavantage les marques qui n’ont plus aucun pouvoir sur les prix de revente des articles souvent mis en ligne 50% moins chers, et qui ne disposent d’aucune connaissance des acteurs consommant ces articles “pre owned” sur les plateformes les plus connues. Du côté acheteur, même si certaines s’arment de plus en plus, les plateformes multiplient les problèmes d’authenticité ou d’arnaques au paiement, ce qui éloigne les consommateurs les plus timides. D’après une étude, “71% des Français affirment qu’ils achèteraient plus souvent des produits de luxe de seconde main si les marques géraient elles-mêmes leurs reventes”. Si s’adapter à la populaire et durable mode circulaire dans le monde réel est bien difficile quand on est une marque de luxe, les technologies du monde de demain changeront sûrement la donne.

Opportunités des nouvelles technologies

A l‘annonce du web 3.0, plusieurs retailers de luxe s’installent progressivement dans ce nouvel univers digital, communément appelé “métaverse”. On retrouve notamment la marque Dolce & Gabbana qui proposait en 2021 d’acquérir virtuellement et/ou physiquement l’une des 9 pièces uniques de la collection “Collezione Genezi” sur la plateforme UNXD. En 2022, celle-ci participe à la première Fashion week sur le metaverse Decentraland aux côtés de nombreuses autres comme Etro, ou Giuseppe Zanotti et lance une boutique éphémère permettant aux utilisateurs de vêtir leurs avatars des plus belles pièces de la maison. Selon une étude, 25,66 M$ auraient été rapportés à Dolce & Gabbana suite aux différents projets sur ce nouvel univers qui constitue un réel potentiel pour cette dernière au vue de ses nombreuses apparitions.

En réalité, la présence des marques de luxes sur le Web 3.0 les rapproche d’une génération moderne très consommatrice de ces produits que l’on nomme “ Non Fungibles Tokens ”(NFTs). D’une manière technique, ils sont certifiés par la blockchain qui garantit leur authenticité, rareté et exclusivité – des concepts que l’on ne peut omettre d’évoquer lorsque l’on parle du luxe. Au plus grand bonheur de ces utilisateurs qui semblent s’apparenter à ceux que l’on retrouve sur la seconde main, ces NFTs sont très facilement échangeables sur ce marché car toutes informations importantes sur la vie de l’article auront été conservées dans la blockchain : détenteurs historiques, prix … Par conséquent, l’acte de revente se voit considérablement facilité puisque toute question de contrefaçon est écartée.

Hormis toutes les vertus du NFT précédemment citées, ils ont la possibilité de rendre aux marques de luxe la souveraineté sur le marché de seconde main. Munies de la technologie des “smart contract” qui offre certaines possibilités comme la génération de “royalties” (rémunération de la marque à chaque revente d’un NFT), les griffes de luxe pourraient ainsi bénéficier d’une rente à vie sur leurs articles. D’ailleurs, cette information est difficilement négligeable lorsque l’on sait qu’un sac Gucci s’est revendu plus cher dans le metaverse que son semblable dans la vie réelle. Plus que cela, elles pourraient même collectionner des données sur les acteurs de la seconde main, futurs prospects du marché de première main, qui, sous forme d’avatar dans le metaverse, offriront aux marques un angle de connaissance sans précédent.

Pour s’imposer sur le marché de seconde main qui ne cesse de grandir, les marques de luxe doivent se libérer des plateformes, tout en se rapprochant de la génération Z, cœur de cible. Finalement, toute cette effervescence derrière ce monde incertain où elles ont la possibilité d’émettre des biens numériques associés à leurs articles assurant non seulement une confiance parfaite avec le consommateur, mais aussi une valeur ajoutée économique, n’est-elle donc pas une aubaine pour les marques de luxe ? Avec plus de la moitié située en phase de test/lancement avant 2025 sur le web 3.0, les marques de luxe tentent, sans peut-être savoir qu’elles ont tant à gagner.

Par Shirel Matti, Consultante Square Management.

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