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Le Journal du Net

– le 30 novembre 2022

Avec ‑52 % de résultat net, les investisseurs de Meta doutent sérieusement. La stratégie d’innovation actuellement déployée n’est pas rentable, ni acceptable socialement, ni durable..

Avec ‑52 % de résultat net et un budget R&D qui augmente encore, de plus de 40 % (1), les investisseurs de Meta doutent sérieusement. En une année, la capitalisation de Meta est passée de 922 milliards à 370 milliards de dollars, soit une chute de 60 % (2). La stratégie d’innovation actuellement déployée est destructrice de valeur au présent, peu prudentielle et demeure pour beaucoup incompréhensible, y compris des collaborateurs. De notre analyse, cette stratégie d’innovation actuelle est un flop car elle n’est pas rentable, ni acceptable socialement, ni durable d’un point de vue environnemental. Voyons en quoi cette vision stratégique focalisée sur le métaverse, allant jusqu’à changer le nom de l’entreprise concernée, est paradoxalement d’un autre temps.

Une conception curieuse de la rentabilité 

Le « fail fast, fail often » est une devise répandue dans la Silicon Valley mais pour Meta, cela ne marche plus vraiment. Les échecs monstrueux se suivent mais l’organisation n’en tire pas de leçons. Dans les faits son métaverse Horizon Worlds prend la même trajectoire que le coûteux projet de crypto monnaie Libra, un temps renommé Diem, qui a fini abandonné.

Les stratèges chez Meta semblent obnubilés par le mythe du «first mover» qui suppose que le premier arrivant gagne la compétition. Sans contrepartie, il faut dépenser toujours plus en R&D afin de s’assurer d’être le premier à commercialiser la nouvelle technologie qui changera le monde. N’est-ce pas ce que démontrent les chiffres actuels de Meta ? Qu’importe alors si une technologie émergente, par définition, n’a pas de débouché existant dans l’immédiat et que l’ouverture de marchés est toujours incertaine. Qu’importe aussi les modèles des professeurs Adner ou Kapoor qui expliquent sous quelles conditions particulières un «first mover» gagne.

A l’inverse des stratèges d’Apple, les stratèges de Meta n’attendent pas que d’autres entreprises défrichent le sentier, en s’abimant au passage ! Le techno-push répété de Meta est parfois comparable à l’entêtement d’un bélier et parfois au déni de l’autruche. Avec sa crypto monnaie Libra, Meta a foncé tête baissée face au régulateur. Le choc a été brutal. Aujourd’hui, avec Horizon Worlds, Meta ne se préoccupe pas du coût d’accès pour l’utilisateur. La navigation sur Horizon Worlds est actuellement gratuite, est-il écrit dans la publicité. Oui, mais encore faut-il s’offrir un casque qui coûte entre 500 et 1800 euros (3). Débourser une telle somme, sans savoir si l’expérience est plaisante ou utile, représente une barrière à l’entrée dissuasive pour nombreux utilisateurs potentiels. La maxime de l’exposition de Chicago de 1933 n’est plus d’actualité « La science découvre, l’industrie applique, l’Homme suit ». C’est une stratégie d’innovation anachronique qui est déployée actuellement et Meta le paye cash.

Un mépris de l’acceptabilité sociale

Cette stratégie d’innovation très techno-push, par ses mauvais résultats, engendre 11 000 licenciements. C’est 13 % de l’effectif de Meta qui est mis à la porte. Pourtant des employés, des partenaires et des investisseurs ont exprimé des doutes qui n’ont jamais été bien pris en considération. L’entreprise a fonctionné en Top Down.

L’unique pacte que Méta propose à ses collaborateurs, investisseurs et clients est dans le cas présent de nature purement transactionnel. Néanmoins l’acceptabilité passe aussi par de l’intangible : la création d’un pacte identitaire et d’un pacte aspirationnel. Il s’agit là des fondements du branding management (Lewi, Lacoeuilhe). Si à ses débuts Facebook a construit un pacte identitaire, celui-ci s’étiole avec Meta. A propos de son métavers, les propres employés de l’entreprise décrivent des espaces virtuels froids, peu animés, peu intéressants. Meta fédère de moins en moins. Une crise identitaire s’annonce. Enfin, qui sait sans détour à quelle aspiration répond Meta ?

Enfin, en admettant que la rentabilité de cette stratégie d’innovation soit visée à long terme par les stratèges de Meta, serait-ce acceptable d’induire au présent de tels impacts sociaux ? Plus scandaleux encore, si le fondateur visait un emballement spéculatif du marché pour le métavers, Meta risque beaucoup.

Un déni des enjeux de durabilité

Plutôt que de chercher à concevoir des solutions techniques ou des moyens pour s’organiser face aux urgences environnementales et sociales de notre siècle, la stratégie d’innovation actuelle de Meta vise toujours plus de consommation de contenu, toujours plus de connexion en fréquence et en nombre.

Selon Raja Koduri, Executive Vice President and General Manager of Accelerated Computing Systems and Graphics chez Intel, à cause des métaverses, les nouveaux usages numériques engendreraient près de 10 % des émissions CO2 totales d’ici 20 ans.

En cela la stratégie d’innovation actuelle de Meta, du tout métaverse, est également vicieuse. Elle organise aussi la fuite de ses partenaires et de ses parties prenantes devant leurs responsabilités environnementales. Enfermée dans une logique techno-push et l’unique course au profit, nous pourrions donc qualifier une pareille stratégie d’innovation « d’irresponsable ».

Comment sortir de stratégies d’innovation irresponsables ?

Pour des entreprises dans la position de Meta, une réaction saine est d’affronter ses responsabilités. L’objectif est de repenser au plus vite une stratégie d’innovation plus responsable : à la fois plus rentable, acceptable, durable.

Déclencher une prise de conscience collective est une première étape. Un retour d’expérience permet d’apprendre de ses échecs puis, par la suite, de planifier des stratégies de rebonds conceptuels et technologiques pour de futures gammes. Ceci initie la conception de stratégies de lignées (Chapel, Hatchuel, Midler). Par exemple, Apple a très bien su apprendre de son échec sur son produit Newton. En tirant des enseignements, Apple s’est alors positionné en « late entrant », brisant le mythe du «first mover», ce qui lui permet de gagner la compétition des tablettes tactiles avec l’iPad.

Dans le cas de Meta, une telle analyse pourrait permettre de compléter la « mission » en vue de rattraper des investisseurs et de reconfigurer la roadmap produits urgemment. En effet sa mission actuelle est limitée en terme économique, temporel et d’aspiration :

« Le but premier de Meta sera de faire naître le métaverse et aider les gens à se connecter, trouver leurs communautés et faire grandir des entreprises »

Tout est limité à une technologie, tout vise l’économie de la connexion semble anachronique, et la vision prône tacitement un communautarisme qui semble peu progressiste. Enfin appeler à la croissance des entreprises en période de crispation énergétique, crise environnementale semble cynique ou très XXe siècle puisque l’enjeu est plutôt d’organiser la résilience des entreprises et les responsabiliser face au changement climatique.

Repenser la mission de Meta semble nécessaire pour mobiliser au mieux ses formidables ressources, son rare capital humain, pour qu’enfin son innovation concilie rentabilité, acceptabilité et durabilité.

Aussi fracassant puisse être l’échec actuel de Meta, celui-ci peut au moins nous faire prendre conscience qu’il n y a pas de recette magique du côté de la Silicon Valley !

Sources

(1) Rapport des résultats financiers de Meta Q3 2022

(2) https://fr.statista.com/infographie/28561/evolution-capitalisation-boursiere-de-meta-facebook/

(3) Prix des casques Meta Quest et Meta Quest Pro

Par Valentin Giandomenico, Consultant Senior Square Management.

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