Sélectionner une page

Revue Banque

– le 11 décembre 2023

Crise financière, écologique, de confiance… Les banques doivent faire face à de multiples risques, tout en assurant leur pérennité et en contribuant à préserver notre planète. Les obligations vertes constituent-elles un instrument fondamental pour atteindre ces objectifs ou un effet de mode ?

L’Accord de Paris issu de la COP21 en 2015 contient l’objectif ambitieux de limiter la hausse des températures en moyenne de 1,5 °C en 2050. Il nous faut donc atteindre la neutralité carbone au plus vite, en limitant voire en supprimant, les financements menant à un maintien ou à une hausse des émissions de CO2, pour les router vers des projets vertueux.

C’est ainsi qu’est apparu un nouveau label de titres de dettes, les green bonds ou obligations vertes, dont le produit de l’émission est justement investi dans des projets peu ou pas générateurs de CO2. Selon le ministère français de l’Écologie, « une obligation verte est un emprunt émis sur le marché par une entreprise ou une entité publique auprès d’investisseurs pour lui permettre de financer ses projets contribuant à la transition écologique […]. Elle se distingue d’une obligation classique par un reporting détaillé sur les investissements qu’elle finance et le caractère vert des projets financés ».

Ces obligations peuvent être émises par tous les agents habituellement emprunteurs sur les marchés de gros et porteurs ou sponsors de ces projets verts. On y retrouve, en 2022, les États souverains, les collectivités locales et des entités supranationales (39 % des émissions), suivis du secteur financier (32 %) et des industriels (29 %).

Des enjeux d’image et de mise en œuvre

Le financement de projets peu ou pas carbonés bénéficie aujourd’hui d’un flux politique et médiatique très positif. Alors pourquoi les obligations vertes ne représentent-elles encore, à fin 2022, que 7 % du stock total d’obligations en vie ? 

Pour tous les émetteurs, la question fondamentale est de correctement qualifier la « couleur » des projets financés. 

Cette image positive des investissements écologiquement responsables est à double tranchant si une partie prenante (investisseur, ONG, agence de notation…) classe autrement la destination des fonds levés. Les textes européens, notamment la directive Taxonomie amendée en 2022 et la proposition de standard EU Green Bond de février 2023, visent à standardiser et à renforcer la confiance dans cette information… à l’échelle de l’Union européenne.

Le standard global de marché reste à définir, ce qui pourrait s’avérer encore plus ardu que les normes comptables et le cadre prudentiel bancaire, dont les adaptations opportunistes de certaines zones géographiques sont notoires !

En sus, malgré l’obligation de transparence incombant aux émetteurs et aux contrôles indépendants, plusieurs cas de greenwashing ont émergé, avec des fonds employés dans des projets controversés, comme l’extension d’un aéroport international, malgré la certification du projet par une agence reconnue.

Le cadre visant à instaurer la confiance dans l’information relative aux green bonds est également un enjeu de coût pour les émetteurs. Ces derniers doivent en effet mettre en œuvre des process de collecte de données détaillées sur les projets financés, de contrôle indépendant des informations publiées et de la gouvernance visant à assurer l’absence de conflit d’intérêts.

Peu de raisons pour les banques d’investir

Du côté des investisseurs, pourquoi acheter des green bonds ? Les gains sont principalement liés à l’image projetée dans le grand public et auprès des autorités. Ainsi, l’appartenance à une alliance parrainée par l’ONU comme la Net Zero Asset Owner, principalement composée d’assureurs et de gestionnaires d’actifs, est indéniablement un argument de poids. Cette alliance vise à transformer les portefeuilles d’investissement de ses membres pour respecter les objectifs de l’Accord de Paris (neutralité carbone en 2050), en y ajoutant des jalons intermédiaires de réduction des émissions de CO2 à 2025 et à 2030.

Pour les banques détentrices de green bonds, les gains peuvent être de deux natures : financiers et réglementaires. Les portefeuilles de titres des banques étant essentiellement composés de titres souverains, le gain financier a fortement réduit : en gagnant en maturité, le marché a fait converger les rendements des obligations vertes vers la moyenne du marché (différence de l’ordre de 2 pb à mi-2022 pour les émissions des états de la zone euro).

Sur le plan réglementaire, les banques sont fortement incitées à détenir des titres de dettes souveraines pour respecter leurs ratios de liquidité (LCR/NSFR). Comme ces ratios sont construits sur la seule base de la qualité de l’émetteur (nature et note), les green bonds ne bénéficient d’aucune incitation.

Leur comportement dans les turbulences de marché de 2022–2023, aligné sur les obligations classiques, ne leur confère pas non plus d’atout de meilleure résistance en cas de stress. Le principal facteur viendra donc probablement de l’indicateur Green Asset Ratio promu par l’Autorité bancaire européenne (EBA) et intégré dans le pilier 3 (public), visant à mesurer sans seuil obligatoire la proportion du bilan (stock) et des financements récemment octroyés (flux) contribuant à l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris de 2015. Compte tenu de la maturité moyenne des crédits octroyés élevée au regard des attentes du public (notamment pour les projets et les inffastructures), un moyen rapide de « verdir » le bilan est de modifier la composition des portefeuilles de titres de dette détenus.

D’autres leviers possibles

Alors que la demande pour les obligations vertes reste très soutenue, les émissions de ces titres sont toujours minoritaires, notamment en raison des difficultés des émetteurs à qualifier leur caractère vert. Ce risque de réputation s’étend naturellement aux investisseurs, alors que ces derniers ne trouvent pas dans ces instruments de levier de valorisation financière ou de conformité réglementaire. Changer le cadre réglementaire est une piste tentante, mais à double tranchant pour les régulateurs : les parties prenantes pourront, là aussi, arguer qu’il faut aller plus loin et plus vite. Pour citer le ministère français de l’Écologie, « les obligations vertes ne représentent qu’une partie de la solution pour financer la transition bas-carbone nécessaire à la mise en œuvre de l’Accord de Paris de 2015 ».

« Pour les banques détentrices de green bonds, les gains peuvent être de deux natures: financiers et réglementaires. »

Alors, que peuvent faire les banques pour optimiser leur bilan sous l’angle environnemental ? Plusieurs leviers sont possibles. Dans un premier temps, la mesure du caractère vert mérite certainement d’être affinée, avec un investissement significatif dans la qualité des données sur les financements déjà octroyés. Les parties prenantes, apprécieraient-elles de la même façon des portefeuilles avec un diagnostic de performance énergétique B et D en moyenne ? Ou un portefeuille ayant contribué à la sobriété énergétique ou à la production d’énergie renouvelable ? À plus long terme, en plus de la réduction des financements « marron », les banques pourraient router l’abondante épargne des ménages vers des projets verts, via des politiques d’octroi incitatives.

En période de taux élevés, cette réorientation des octrois se heurte à la baisse drastique des investissements par les agents économiques privés, particuliers comme entreprises. De même que les obligations vertes ne sont pas la solution ultime au financement de la transition écologique, les banques ne sont pas des acteurs suffisants face à l’ampleur des enjeux. Cette transition ne pourra donc être menée à bien qu’avec le soutien massif des acteurs publics, avec des politiques fiscales et d’investissements volontaristes. 

Par Angelin Cayet​, Consultant senior chez Square Management.

Share This