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Les Echos

– le 04 février 2021

Faire payer les matchs de Ligue 1 et de Ligue 2 à l’unité, plutôt que sur abonnement, est une idée qui monte depuis le fiasco Médiapro et le flop du nouvel appel d’offres de la LFP. Cette solution est-elle viable ? Les réponses de Maxime Bonhomme, consultant chez Square.
Depuis plusieurs semaines les clubs de football professionnels français sont au coeur de la tempête depuis l’arrêt du paiement des droits télé par Mediapro et le flop du nouvel appel d’offres lancé par la Ligue de football professionnel. Lorsque l’on sait que ces droits représentent plus de 50 % de leurs revenus, leur santé économique et financière s’aggrave à mesure que le temps passe.

Maxime Saada, président du directoire de Canal+, a émis l’idée de lancer le paiement à l’acte permettant aux passionnés de regarder les matchs qu’ils souhaitent tout en proposant une solution de financement viable qui permettrait de répondre aux inquiétudes des clubs français. « Pour en terminer avec cette situation, nous allons proposer à la LFP une solution technique universelle qui permettra à tous les Français, abonnés ou non à Canal+, de suivre les matchs en ‘pay per view’ ». Tels sont les mots employés par Maxime Saada en conclusion de son interview choc pour « Le Figaro » le 12 janvier dernier.

Un concept aussi peu connu qu’innovant est déjà utilisé dans le basket ou la boxe aux aux Etats-Unis. Le téléspectateur paye à l’unité pour regarder matchs et combats. Il s’agit en fait d’une sorte de consommation du sport à la carte pour le téléspectateur. Cette pratique qui a aussi été testée en Premier League en octobre dernier.

Des économies pour les téléspectateurs

En défaut de paiement depuis l’été passé et en mal d’abonnés, la chaîne Téléfoot a lancé le « Pass journée » pour un montant de 3,90 euros à l’occasion du match PSG-OL. L’objectif : permettre aux supporters parisiens et lyonnais de s’enflammer pour leur équipe préférée le temps d’une soirée.

Une offre séduisante qui a de l’avenir puisque pour regarder plusieurs compétitions à la TV, les fans sont obligés de s’abonner à de nombreuses chaînes (Canal+, BeIN Sport, RMC Sport…) pour un tarif mensuel cumulé très élevé avoisinant les 75 euros. Un système remis en question par Jean-Michel Aulas qui milite pour un « Spotify du foot » concentrant sur une seule et même plateforme tous les championnats et coupes.
« Testée entre 1996 et 2008 par Canal+, cette alternative à la demande avait échoué. Mais en 2021, la donne a changé et les technologies ont évolué. »

Le « pay per view » pourrait faire partie de l’offre car en plus de proposer une solution sur-mesure aux consommateurs, il leur permettrait aussi de dépenser moins. Et pour cause, énormément de personnes, notamment les jeunes, ne sont plus prêtes à s’engager avec un diffuseur sur un ou deux ans. Ne payer que pour un seul match ou seulement pour voir son équipe de coeur répondrait à cette demande de flexibilité.

Testée entre 1996 et 2008 par Canal+, cette alternative « à la demande » avait échoué. Mais en 2021, la donne a changé et les technologies ont évolué. Grâce à l’émergence de Netflix et Amazon prime, utiliser sa tablette ou son téléphone pour regarder un contenu via une plateforme digitale est maintenant commun. En plus de convaincre de nombreux consommateurs, ceux-ci seront moins tentés par l’option du streaming illégal gratuit, très facile d’accès (mais rarement de bonne qualité) qui est le poison des diffuseurs et par ricochet des clubs.

Des revenus volatils pour les clubs

Si cette piste se montre attrayante, le pari s’avère risqué pour les clubs ainsi que la LFP. Historiquement basée sur un système d’appel d’offres, la recette certaine liée aux droits TV avec un engagement des diffuseurs sur quatre ans apporte de la visibilité aux clubs. Le système de paiement à l’acte, quant à lui, n’apporte aucune stabilité de revenus sur le court terme en raison de la demande volatile. C’est d’autant plus le cas pour les petits clubs, moins réputés et moins suivis. Des clubs comme Brest ou Nîmes seraient fortement désavantagés face à Paris ou Marseille. L’écart de revenus audiovisuels pourrait être encore plus grand et augmenter les inégalités économiques entre les « petits » et les « grands » dans un championnat déjà déséquilibré.

Le « pay per view » est d’autant plus intéressant à mettre en place pour les évènements premium et rares. Tout l’inverse de la Ligue 1. Même en Angleterre, pays de football et considéré comme ayant le meilleur championnat du monde, le paiement a l’acte a été boycotté en raison de son tarif très élevé (environ 17 euros pour regarder un seul match). Il avait pourtant été réclamé par les supporters privés de séjour au stade en raison du Covid-19. Un exemple à éviter en France au risque de faire un flop.

Le lancement du « pay per view » proposé par Maxime Saada pour suivre le foot en France a de quoi être attractif. Les consommateurs qui gagnent en flexibilité semblent prêts à changer leurs habitudes de consommation. D’ailleurs Canal+, grâce à son application digitale MyCanal aurait été en mesure de proposer ce produit. Amazon qui a répondu à l’appel d’offres de la LFP pour diffuser la Ligue 1 en est aussi capable. Pour remédier au manque de visibilité de revenus de ce système, le nouveau modèle pourrait assurer un revenu minimum aux clubs. Une solution partagée par Antoine Feuillet auteur d’une thèse sur les droits TV. Mais dans cette situation d’urgence, les clubs et la LFP qui sont dos au mur et face à un possible écran noir, sont-ils réellement en position de négocier ?

Par Maxime Bonhomme, consultant chez Square.
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