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Les Echos

– le 10 février 2021

Ce n’est pas le sacro-saint principe de précaution qui bloque l’innovation en France, écrit Julien Borderie, «partner» chez Square. Ce sont plutôt nos modèles organisationnels et managériaux qui découragent la prise de risque.
À ne pas vouloir prendre de risques et à suivre de trop près le principe de précaution, les entreprises françaises n’innoveraient plus et seraient dépassées par leurs concurrentes internationales, la preuve : aucun laboratoire français n’a trouvé de vaccin à la Covid-19 !

Cette vision d’une économie française déclassée par le simple fait de son aversion au risque, est caricaturale mais révélatrice de ce que pensent de nombreux acteurs économiques qui considèrent que le principe de précaution inhibe le progrès et bloque « par défaut » la prise de risque et l’innovation.

Et si la raison pour laquelle la France et une partie de ses entreprises n’innovaient pas suffisamment, n’avait rien à voir avec le principe de précaution ou le goût du risque mais bien avec la réalité de l’innovation ?

Le principe de précaution est un concept popularisé par le philosophe allemand Hans Jonas. Il s’est incarné vers les années 90 en concept juridique lorsqu’il a intégré la majorité des traités environnementaux internationaux (Accords de Rio 1992) ou politiques (Maastricht 1992).

Ce principe prend pour postulat que l’homme peut fabriquer aujourd’hui les outils qui détruiront son environnement. C’est dans ce cadre qu’il permet aux décideurs politiques de prendre des mesures de protection lorsqu’ils estiment, avec l’appui de scientifiques, qu’une invention peut être dangereuse sur un temps long pour l’environnement ou la santé humaine.

Ancré dans ce temps long, limité dans ses impacts (l’espèce humaine et son environnement), ne refusant pas le risque mais le danger, reconnu internationalement, ce principe permet de donner un cadre à l’innovation en demandant aux entreprises de considérer en amont la soutenabilité de leurs inventions. Les très nombreux rapports de l’impact humain sur la détérioration environnementale sont autant d’arguments à mettre au crédit de ce principe raisonnable que seul peut porter la puissance publique.

Ce n’est donc pas le principe de précaution qui bloque l’innovation mais peut-être son association automatique à la notion de prise de risques. Prendre un risque c’est, par sa connaissance, sa vision ou son intuition, tenter une action en espérant une issue positive. C’est une notion par nature aléatoire.

Innover en entreprise est très différent car l’aléa ne fait pas bon ménage avec l’économie. Si l’entreprise doit permettre voire encourager la prise de risque auprès de ses équipes afin qu’elles inventent de nouveaux produits ou services, elle doit dans le même temps s’assurer que ces produits et services seront bien adoptés par le public en investissant dans les fonctions marketing et commerciales.

L’innovation réside dans cet équilibre entre invention et adoption.

Pour arriver à cet équilibre qui permet de limiter l’incertitude et d’être plus performant, les entreprises innovantes sont celles qui, entre autres, mettent en place des méthodes managériales basées sur la confiance, organisent et animent un écosystème de partenaires (fournisseurs, prestataires, clients), travaillent avec la puissance publique, les instituts de recherche et les meilleures écoles de l’enseignement supérieur.

L’innovation d’un pays et de ses acteurs économiques n’est donc pas une histoire de principes ou de prises risques mais bien une question d’organisation et de transformation profonde des modèles organisationnels et managériaux qui doivent accepter un mot aujourd’hui tabou : l’erreur.

Par Julien Borderie, Partner chez Square.
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