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Environnement Magazine

– le 22 décembre 2022
Afin de juger si l’année 2022 a permis de réaliser des avancées concrètes dans la transition vers la finance durable ou si les multiples travaux et discours ne constituent, de fait, qu’une opération de greenwashing .
Le mois de décembre est propice aux rétrospectives en tout genre. Le secteur de la finance durable, avec les espoirs qu’il suscite et les passions qu’il cristallise, ne doit pas échapper à ce type d’analyse. Elle s’avère d’autant plus indispensable que la dernière enquête publiée par le Monde ce 29 novembre jette un doute sur la probité du secteur. Intitulée « La grande tromperie des fonds d’investissement verts », elle questionne les pratiques des gestionnaires d’actifs en les mettant en regard de la réalité de leurs portefeuilles : certains fonds, présentés comme « durables », réalisent des investissements dans des secteurs carbonés ou des entreprises sujettes à controverses. Une rétrospective s’impose afin de juger si l’année 2022 a permis de réaliser des avancées concrètes dans la transition vers la finance durable ou si les multiples travaux et discours ne constituent, de fait, qu’une opération de « greenwashing ».

Janvier à mai 2022 : de la controverse aux espoirs de clarification réglementaire

L’année 2022 a mal commencé pour les gestionnaires d’actifs. Leurs pratiques ont été mises en accusation par le scandale qui a touché Orpéa en janvier. L’acteur européen du secteur des soins et de l’accompagnement de la dépendance disposait d’une notation ESG telle qu’elle lui permettait d’être sélectionné dans des portefeuilles labellisés « ISR (1)» en vertu de son modèle d’affaires répondant à un enjeu « social ». Pourtant, la mauvaise gestion des résidents de ce géant des EHPAD fut dénoncée, révélant l’écart entre les engagements explicités dans les rapports extra-financiers et la réalité du terrain. Dans cette controverse, le titre de l’entreprise chuta de 30% en deux jours obligeant les investisseurs à s’exprimer. Mirova, actionnaire français parmi les plus actifs en matière ESG et détenteur d’environ 4% du capital d’Orpéa, a justifié cette déroute par des lacunes en matière de suivi de l’entreprise et un manque de transparence extra-financière.

La transparence est justement devenue le cheval de bataille de la Commission Européenne ces trois dernières années. En élaborant de nouveaux textes pour l’ensemble de la « chaîne d’investissement » — entreprises, gérants et conseillers — les régulateurs européens entendaient réduire le risque de « greenwashing » et apporter davantage de lisibilité au secteur. En effet, les fonds d’investissement européens ont à ce jour des appellations (« fonds verts », « durables » ou « responsables »), labellisations et « degré de durabilité » très variés. Depuis 2019, les acteurs et régulateurs du secteur de la gestion d’actifs ont œuvré à des travaux d’harmonisation des pratiques via l’élaboration de nouveaux modèles de transparence applicables aux sociétés de gestion et à leurs produits (2). Ces travaux conséquents ont pris fin lorsque les modèles tant attendus furent adoptés par la Commission Européenne en avril 2022. Dès janvier 2023, les gérants devront expliciter leurs stratégies de gestion selon des critères communs adossés à des engagements qualitatifs et des indicateurs quantitatifs, et classifier leurs produits selon des catégories « ESG » standardisées. Après cette période d’incertitude réglementaire, les acteurs retrouvent une certaine stabilité également portée par des clarifications de la part des régulateurs français et européens.

Eté 2022 : les gestionnaires d’actifs en proie aux contradictions politiques et réglementaires

L‘été 2022 ne fut pas à une contradiction près. Première en date, l’inclusion des activités liées au gaz et au nucléaire dans le référentiel de la Taxonomie. Ce dispositif phare en faveur de la transition énergétique permet de normaliser la définition des activités que l’on peut considérer comme alignées avec les Accords de Paris — et donc « vertes » ou « durables d’un point de vue environnemental » — à l’échelle de l’Union Européenne. Par cet acte fondateur, les portefeuilles « verts » ou « durables » au sens de l’ambitieux article 9 SFDR peuvent inclure (selon des conditions strictes) des investissements dans des sociétés actives dans ces secteurs auparavant exclus du texte. Les institutions Européennes ont ainsi révélé la prédominance du pragmatisme économique et financier sur l’urgence climatique, au risque d’accroître l’incompréhension future des épargnants.

En parallèle, les régulateurs ont précisé durant l’été de nombreuses modalités de publication liées aux réglementations mais ils se sont abstenus de clarifier une notion fondatrice qui restait « floue » en premier lieu : la définition d’« investissement durable » (hors ceux définis par la Taxonomie). Ces investissements pourront constituer les portefeuilles des fonds dits « durables » au sens de l’Article 9 SFDR. La définition réglementaire existante étant qualitative et subjective, elle peut toujours être interprétée et appliquée selon le bon vouloir des acteurs. Des experts ont ainsi alerté quant à de nouveaux risques de controverses (3).

Durant cette période estivale toujours, les conseillers financiers et banquiers ont dû faire évoluer leurs pratiques en matière de conseil prodiguer à leurs clients. Désormais ils doivent systématiquement les interroger et recueillir leurs préférences selon trois critères : celui de la durabilité, de l’action en faveur du climat ou de la limitation des impacts négatifs des produits. D’importants efforts d’analyse et de collecte ont été mis en œuvre par les différents acteurs afin d’être au rendez-vous. Cependant, les données des entreprises sous-jacentes et des produits selon ces trois axes manquent encore puisqu’elles ne seront disponibles publiquement qu’à partir de janvier 2023, conformément aux différents calendriers sur la transparence. Laissant le dispositif réglementaire de la finance durable incomplet à ce jour.

Dernier trimestre 2022 : les acteurs financiers appelés à renforcer la gestion de leurs engagements climatiques

En octobre 2022 l’AMF et l’ACPR ont publié leur 3ème rapport dédié au « Suivi et l’évaluation des engagements climatiques des acteurs de la Place » (4). Le rapport indique qu’en matière d’engagements climatiques « le bilan de cette analyse demeure contrasté et les progrès de transparence et de gouvernance devraient être amplifiés ». Les superviseurs encouragent les engagements climatiques pris par les gérants d’actifs (comme par exemple les initiatives de la « Glasgow Financial Alliance for Net Zero » — GFANZ) en faveur de la neutralité carbone. Ils appellent cependant à une meilleure mise en application et un meilleur suivi de ceux-ci. Ils pointent par exemple le fait qu’ « aucune des sociétés de gestion ne vise l’exclusion des entités développant de nouvelles capacités d’énergies fossiles conventionnelles, point pourtant central dans le rapport de l’Agence Internationale de l’Energie » et pratique indispensable au respect des Accords de Paris. Concernant les engagements pris sur les sorties des énergies fossiles dîtes « non-conventionnelles », les régulateurs indiquent également que « les données déclarées par les sociétés de gestion illustrent à l’inverse une faible intensité d’actions d’engagement ». Les investisseurs sont ainsi appelés à agir plus massivement afin de contribuer à la transition des entreprises les plus exposées dans le cadre de leur devoir d’actionnaire.

En conclusion : que peut-on espérer pour 2023 ?

Au regard de l’année écoulée, force est de constater que les résultats de l’enquête du Monde de novembre 2022 n’ont rien de surprenant. Elle met en exergue les limites actuelles du processus de transition des acteurs de l’investissement durable qui doivent encore s’adapter à différentes contraintes :
  • Des insuffisances réglementaires,
  • Des difficultés d’opérationnalisation des engagements volontaires au sein des grandes institutions,
  • Un manque de données ESG et une dépendance envers les fournisseurs.

Pour autant, ces facteurs externes ne doivent pas masquer le manque d’ambition climatique des acteurs comme souligné par l’AMF. La pression réglementaire de l’année 2022 a permis au secteur d’évoluer à grand pas, mais les pratiques des gérants ne se sont pas transformées pour autant. Pour répondre à la demande des épargnants, les acteurs devront dépasser la contrainte réglementaire en relevant l’ambition de leurs engagements et en accélérant leur mise en œuvre. Cela pourra se faire de diverses manières :

  • Définir une méthodologie concrète et mieux-disante de l’investissement durable et déclassifier certains fonds « Article 9 »,
  • Travailler à des politiques plus ambitieuses en matière de climat et de sorties des énergies fossiles,
  • Mettre en place des listes d’exclusions plus contraignantes et cohérentes avec les engagements (par exemple exclusion des émetteurs qui déploient de nouvelles capacités charbon),
  • Accentuer l’engagement actionnarial afin d’accompagner les entreprises françaises à poursuivre leur transition.

L’année prochaine sera cruciale puisque les acteurs seront jugés sur les informations finales de leurs produits publiées à partir de janvier puis actualisées.

Les décideurs politiques devront également poursuivre la refonte du label ISR et en relever l’ambition climatique. Par exemple, en en excluant les investissements liés aux énergies fossiles non-conventionnelles (comme demandé dans la pétition des Acteurs pour la Finance Responsable (5)). Enfin, les initiatives européennes en cours continueront de stabiliser le dispositif réglementaire :

  • Elaboration d’un texte permettant de définir juridiquement le « Greenwashing » dont la consultation fut lancée le 15 novembre dernier,
  • La revue de l’ensemble des réglementations existantes sur la finance durable par les régulateurs pour une meilleure cohérence et mise en application (6),
  • En 2023, les défis pour les gestionnaires d’actifs seront donc encore nombreux. Souhaitons que le secteur relève ses ambitions et accélère sa transformation, au risque de subir de nouvelles accusations de « Greenwashing » qui discréditeraient définitivement les efforts importants accomplis à ce jour.

Sources

(1) Investissement Socialement Responsable

(2) Règlement « Sustainable Finance Disclosure Regulation » (SFDR) sur la transparence en matière de durabilité

(3) Novethic : « La définition SFDR de l’investissement durable, une future controverse

(4) https://www.amf-france.org/fr/actualites-publications/communiques/communiques-de-lamf/lamf-et-lacpr-publient-leur-troisieme-rapport-sur-le-suivi-et-levaluation-des-engagements

(5) https://www.change.org/p/comit%C3%A9-du-label-isr-fin-des-%C3%A9nergies-fossiles-pour-les-fonds-labellis%C3%A9s-isr

(6) En Octobre 2022, la plateforme européenne pour la finance durable a publié un rapport de recommandations à l’égard des superviseurs afin de revoir et améliorer les réglementations actuelles sur la finance durable
https://finance.ec.europa.eu/system/files/2022–10/221011-sustainable-finance-platform-finance-report-usability_en_1.pdf

Par Marie Vigué, Senior Manager Square Management.

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