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Les Echos

– le 15 septembre 2022

Imposer une contribution exceptionnelle sur les acteurs du secteur de l’énergie, y compris renouvelable, enverra un message contradictoire qui n’aura pour effet que d’entretenir l’illusion d’une transition sans coûts et de détourner des actions inéluctables à prendre pour une transition qui puisse être pérenne plutôt qu’une réaction défensive à une circonstance temporaire provoquée par la guerre russo-ukrainienne.
Mettre à contribution les entreprises produisant de l’électricité avec les énergies renouvelables en limitant leurs revenus, soit indirectement un prélèvement obligatoire : la proposition d’un climatosceptique ? Il n’en est rien. Cette proposition est celle de la Présidente de la Commission Européenne le 7 septembre dernier en plein débat sur la notion de « taxe des superprofits » dans plusieurs pays européens et d’un mécanisme de contribution au niveau européen. 
Quel message est ainsi envoyé aux agents ?! Qu’il faut freiner la transition en punissant les entreprises la favorisant ? L’inaction des années passées et la perpétuation de mesures réactives type remise carburant et autres pansements sur une jambe de bois nous ont conduit à cette situation absurde d’envisager de punir les énergies propres. La justification en est l’écart créé entre leurs revenus qui ont explosé du fait de la guerre en Ukraine, puisque le prix de l’électricité est indexé sur le gaz, et leurs coûts de production qui eux sont restés stables. Certes, cet écart existe, mais il s’agit d’entreprises en concurrence et donc libres de bénéficier et d’utiliser leurs revenus, qu’ils soient exceptionnels ou non. Ce n’est donc pas une situation de rente qui elle justifierait l’application d’une taxe. 
Si l’objectif de cette contribution en est la justice sociale, c’est louable et à encourager, mais avec les mesures plus adaptées qui donnent les bons signaux et ne brouillent pas le message vers une transition pérenne et, dans la mesure du possible, juste. Puisque l’objectif primordial de toute entreprise est la rentabilité, sa contribution à la transition et/ou justice sociale est conditionnée et doit pouvoir se concilier avec la rentabilité. Au lieu d’amputer les entreprises agissant pour la transition d’une partie de leurs revenus, y compris en cas de conjoncture exceptionnelle, il serait plus cohérent avec le discours et efficace de les encourager à utiliser leurs revenus pour investir dans des dispositifs de transition, à mettre en plus des actions durables du type processus de production plus sobres, recyclage, green IT, etc. Plus loin, les entreprises peuvent aussi utiliser leurs revenus pour plus de justice sociale sans contradiction avec la transition en augmentant les salaires les plus bas ou réduire le prix final de leurs clients qui sont les plus défavorisés. 
Comme affichée, la proposition de contribution obligatoire des acteurs énergétiques agissant en faveur de la transition donne un message contradictoire qui risque de décourager les entreprises (y compris dans d’autres secteurs) et qu’elles en viennent à se représenter les enjeux de transition comme une contrainte. Plutôt que les infantiliser et les déresponsabiliser avec une forme de taxe, il serait bien plus opérant de les laisser s’approprier l’objectif de transition, avec une composante sociale, en utilisant librement leurs revenus en respectant les conditions de la concurrence au cœur de la philosophie de l’Union Européenne. 
Une forme de taxe sur les entreprises de l’énergie sans ciblage dont les renouvelables ne sont donc pas une bonne solution pour accélérer la transition avec un minimum de justice sociale et conforte dans l’illusion que les somnifères comme la remise à la pompe serviront et que la transition sera indolore. Pour faire de la guerre en Ukraine et de ses conséquences sur les prix de l’énergie un levier d’accélération vers la transition et soutenir les plus défavorisés, cherchons à adopter les mesures adaptées et ciblées créant les bons signaux pour envoyer le bon message en toute cohérence et respect des règles du marché et son cycle. 

Par Anna Souakri, Chercheure Square Management & Professeur affiliée ESCP Business School.

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