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Journal du Net

– le 07 juillet 2022

“Je ne sais pas.” Pendant longtemps, il était inconcevable qu’un manager, un enseignant ou un parent prononce cette phrase.
Pourtant, dans un environnement VICA (volatile, incertain, complexe et ambigüe) caractérisé par une augmentation exponentielle des connaissances, une obsolescence croissante des compétences et une très forte incertitude, il est de plus en plus courant de ne pas savoir, ou du moins de ne pas tout savoir. Ce constat appelle donc à un changement de posture face à l’apprentissage. L’enjeu n’est plus d’accumuler les connaissances comme le préconisait l’apprentissage traditionnel, mais d’apprendre à questionner, collecter, organiser et partager les informations avec l’ensemble des parties impliquées, afin de coconstruire le savoir.

L’apprentissage vertical : le maître sachant et l’entreprise hiérarchique

Traditionnellement, l’apprentissage repose sur un rapport vertical entre un sachant et un non-sachant. La transmission du savoir est descendante et à sens unique.

Ce mode de fonctionnement prévaut encore majoritairement dans le cadre scolaire, où le professeur transmet ses connaissances aux élèves, puis s’assure que ces derniers les ont bien assimilées grâce à des exercices et des contrôles.

Nous retrouvons également cette organisation dans le monde du travail, où le manager est considéré comme sachant en raison de diplômes ou d’un nombre d’années d’expérience supérieurs, et explique à ses collaborateurs ce qu’ils doivent faire, quand et comment le faire.
Pourtant, les limites de l’apprentissage traditionnel sont connues depuis longtemps. Dès l’Antiquité, Platon indiquait que “les leçons qu’on fait entrer de force dans l’âme n’y demeurent point” (1). Dans ses Essais, Montaigne explique que “l’enfant n’est pas un vase que l’on remplit, mais un feu qu’on allume” (2).

En effet, l’apprentissage traditionnel présente deux limites majeures. Premièrement, il ne favorise pas l’engagement de l’apprenant, le laissant passif et dépendant de son supérieur, maître ou manager, seul apte à décider des modalités et du rythme d’apprentissage et d’exécution. Deuxièmement, comme le souligne Montaigne, l’apprentissage traditionnel s’attache davantage à accumuler les connaissances qu’à organiser ces dernières entre elles afin de construire un système de pensée cohérent. L’apprenant n’apprend donc pas à apprendre.

L’apprentissage horizontal : Montessori et l’agilité

Au XXème siècle, les pédagogues de l’Éducation Nouvelle (3) ont cherché à dépasser ces limites. Maria Montessori a ainsi repris la citation de Montaigne en insistant encore plus sur la spontanéité du potentiel de l’enfant dans sa fameuse formule : “L’enfant n’est pas un vase que l’on remplit, mais une source qu’on laisse jaillir” (4). Elle a développé une méthode dans laquelle l’enfant n’est plus formé par son professeur mais grâce à un environnement et du matériel adaptés (jeux d’encastrement, perles pour apprendre à compter…). Ce dernier apprend par lui-même et à son rythme. Il est également stimulé par les échanges avec les autres enfants, souvent d’âges différents. Ainsi, contrairement à l’apprentissage traditionnel où la coopération entre enfants était inexistante, voire réprimandée car considérée comme de la tricherie, l’Éducation Nouvelle favorise l’apprentissage horizontal entre pairs. L’éducateur sachant, qu’il soit parent ou enseignant, assume quant à lui un rôle d’accompagnateur. Il se tient à la disposition des enfants pour leur proposer des activités adaptées et n’intervient qu’en cas de besoin pour les aider.

En management, nous retrouvons la même volonté d’autonomisation des équipes dans les méthodes agiles. Les équipes s’organisent seules pour produire et monter en compétences. L’apprentissage horizontal entre pairs est valorisé et des communautés de pratiques sont initiées. Un scrum master accompagne les équipes afin de leur apporter de la méthode. Il n’a pas de lien hiérarchique avec elles et se tient à leur disposition pour les aider. Dans d’autres entreprises, le lien hiérarchique est maintenu mais le manager doit assumer le rôle de servant leader. Il n’est plus là pour dire quoi faire mais pour se mettre au service de ses collaborateurs, en les aidant à faire par eux-mêmes et à développer leurs compétences.

Ce mode de fonctionnement permet ainsi de répondre à un des principaux écueils de l’apprentissage traditionnel en rendant l’apprenant actif et autonome, ce qui favorise naturellement son engagement. Cependant, le rapport avec le sachant reste asymétrique. Même si ce dernier n’impose plus son savoir, il continue à être celui qui sait, qui connaît la méthode, face à ceux qui ne savent pas encore. Or, dans un monde de plus en plus VICA, peut-on encore dire que nous savons exactement ce qu’il faut faire et comment le faire ? Peut-on encore assurer qu’une méthode est la bonne ad vitam aeternam, et ce quel que soit le contexte ? Peut-on toujours être celui qui sait ?

En outre, la posture d’accompagnant “au service de” est parfois déstabilisante pour les éducateurs (parents ou enseignants), comme pour les managers, qui peuvent en venir à s’oublier. De plus en plus de managers se considèrent en effet comme des “fusibles”, absorbant le stress afin de ne pas le faire redescendre à leurs équipes. Du côté des parents, l’impression de ne pas faire assez bien ou de ne pas réussir à suivre la méthode peut conduire à un sentiment de culpabilité. In fine, l’adulte ne va plus prendre de plaisir à transmettre ou à manager et se décourager.

L’apprentissage mutuel : le plaisir d’apprendre ensemble et l’un de l’autre

L’apprentissage mutuel transcende les autres modes d’apprentissage qui reposent sur une relation asymétrique entre un sachant et un non-sachant, pour développer un rapport entre deux personnes souhaitant apprendre ensemble et l’une de l’autre. Il s’appuie sur une posture d’humilité, où chacun considère non seulement qu’il a encore à apprendre, mais également qu’il peut apprendre de chaque individu, quel que soit son âge, son grade, ou son niveau d’étude. Ainsi, chacune des parties va apporter ses connaissances et ses idées pour enrichir la relation.

Dans le domaine de l’éducation, nous avons l’habitude de voir un parent ou un enseignant transmettre ses connaissances sur un thème qu’il maîtrise parfaitement. Ne pourrions pas imaginer ces mêmes éducateurs proposer aux enfants d’étudier un sujet qu’ils ne connaissent pas eux-mêmes ? Une période de l’histoire avec laquelle ils sont moins familiers ou une expérience de physique qu’ils n’ont jamais faite ? Comme le soulignait une jeune élève, “les professeurs doivent moins parler. Ils doivent faire des choses qu’ils ne connaissent pas en même temps que nous” (5).

En adoptant ce mode d’apprentissage, adultes et enfants progressent ensemble sur le thème étudié et retrouvent le plaisir d’apprendre. En outre, le savoir n’étant plus détenu par l’un d’entre eux, ils doivent passer par des étapes de questionnement, de recherche, d’appropriation et d’organisation des informations. C’est alors l’occasion pour l’adulte d’accompagner l’enfant dans la construction de son cadre de pensée, en lui proposant méthodes et outils pour le guider. L’apprentissage ne porte plus uniquement sur le contenu des connaissances, mais également sur sa construction. Enfin, en ne considérant plus seulement l’enfant comme un apprenant, mais également comme un sachant contribuant à la construction du savoir collectif, l’adulte sera agréablement surpris par la créativité dont ce dernier peut faire preuve et le niveau de connaissances qu’il peut déjà avoir sur un sujet.

En entreprise, le fonctionnement est le même. Plutôt que de répondre systématiquement à toutes les questions de ses collaborateurs, le manager va enfin pouvoir reconnaître qu’il ne sait pas tout, sans perdre pour autant son leadership. Ceci ne signifie pas qu’il ne sait rien ou qu’il ne sert à rien, mais simplement qu’il ne dispose que d’un morceau du puzzle. Son travail va alors consister à aller chercher les autres pièces du puzzle, en mettant en relation les collaborateurs disposant de connaissances complémentaires sur un sujet, facilitant ainsi la mise en commun et la transmission du savoir. Il va également participer à l’élaboration de solutions adaptées avec les collaborateurs, apportant à l’équipe son regard extérieur et sa capacité à prendre de la hauteur. Ainsi, le manager n’est plus celui qui sait, mais celui qui organise la construction du savoir.

Ce mode d’apprentissage présente de nombreux avantages. Premièrement, il ravive le désir d’apprendre et de partager. Il n’existe pas de meilleur exemple pour un enfant que de voir un adulte prendre du plaisir à apprendre avec lui et de lui, valorisant par la même occasion les connaissances qu’il a déjà acquises. L’apprentissage mutuel permet également aux éducateurs comme aux managers de descendre d’un piédestal parfois difficile à assumer, pour accepter de ne pas tout savoir. Enfin, il est particulièrement adapté à notre environnement complexe, évoluant de plus en plus vite, et nécessitant une posture de formation permanente. En effet, l’enjeu actuel n’est plus de thésauriser des connaissances qui seront de toute façon rapidement obsolètes, mais bien de chercher, d’organiser et de mettre en commun le savoir. Or, l’apprentissage mutuel permet aux enfants comme aux adultes d’adopter cette posture, afin de s’adapter au monde d’aujourd’hui et de préparer le monde de demain.

Sources

(1) Platon (trad. Robin), La République, VII 518 c.

(2) Poussin Charlotte, La pédagogie Montessori, Que sais-je ? Presses universitaires de France, 2ème édition, 2021, p. 17

(3) Éducation Nouvelle : courant pédagogique prônant une participation active de l’apprenant à sa propre formation, notamment à travers l’expérimentation, l’activité et la coopération. L’Éducation Nouvelle a été développée et popularisée par des pédagogues comme Ovide Decroly, Célestin Freinet ou Maria Montessori.

(4) Poussin Charlotte, La pédagogie Montessori, Que sais-je ? Presses universitaires de France, 2ème édition, 2021, p. 18

(5) Harouna, interviewée dans Meirieu Philippe, Joseph Jacotot, peut-on enseigner sans savoir ? L’éducation en questions, PEMF, 2001, p. 11

Par Mathilde Degremont, Principal Square Management.

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