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La Tribune

– le 21 septembre 2022

Alors que la plupart des économies du globe s’insèrent dans la mondialisation, le continent africain se caractérise par des territoires peu industrialisés, un modèle économique largement basé sur la rente des matières premières, l’importance de l’économie grise et des réseaux informels, et une difficulté à construire un cadre réglementaire commun et solide.
L’Afrique se présente comme marché frontière, et contient des pôles de croissances dynamiques, illustrés par les « lions africains » — expression désignant un groupuscule de pays à fort développement, en référence aux « tigres asiatiques ».

Les différents acteurs de ce marché frontière font preuve de résilience et se montrent réactives face aux crises mondiales, le dernier exemple en date étant celui lié au covid-19. Cette crise sanitaire a ralenti les échanges propres à un monde mondialisé et des concepts comme celui de la démondialisation (Walden Bello, 2002) sont remis à l’ordre du jour. Cette démondialisation s’inscrit aussi dans une logique capitaliste. Mais, l’industrialisation des territoires est pensée pour nourrir le marché intérieur, et non plus, pour favoriser l’exportation de biens et de services.

Ainsi, l’Afrique parviendra-t-elle à tirer son épingle du jeu et se positionner comme le nouvel Eden des investisseurs ?

Des indicateurs encourageants

« Les lions africains » : sur 54 pays, 7 pays africains concentrent + de 65% du PIB réel sur le continent (Nigéria, Afrique du Sud, Egypte, Algérie, Maroc, Kenya, Ethiopie). Ces pays ont fait des choix stratégiques, économiques, et font preuve de résilience face aux crises successives.

Le continent africain maintient plutôt bien son rythme de croissance dans les épisodes de récession : C’est le cas durant la crise des subprimes de 2008, où le monde connaît ‑0,1% de croissance du PIB réel en 2009, contre +3,1% de croissance pour le continent africain. Idem durant le Covid, où le ralentissement du taux de croissance du PIB réel fut moins rapide que prévu sur le continent africain. Dans ce contexte, l’Ethiopie, qui a fait le choix d’investir sur le développement de son agriculture, et de nationaliser certaines industries, se démarque avec une croissance à +6% en 2020 alors que l’économie mondiale connaît une récession conséquente avec une décroissance du PIB réel global de 3,1%…

Les exemples sont nombreux, et malgré les crises qui s’enchaînent — le conflit ukrainien ne sera pas sans conséquences pour l’Afrique — les investisseurs sont de plus en plus confiants sur les opportunités que peuvent offrir le continent africain.

Emergence de fonds souverains africains

Surtout que la démarche est de mieux en mieux accueillie par les acteurs du continent : dans ce domaine, le Maroc veut montrer la voie en étant l’un des premiers investisseurs africains sur son continent. Son intégration au sein de la CEDEAO en 2017 confirme cet élan. Et, plus récemment, le lancement de l’ASIF (Africa Sovereign Investors Forum), sous l’impulsion de Ithmar Capital montre une volonté d’accélérer cette dynamique et de fédérer les différents acteurs du continent. Pour Obaïd Amrane, DG d’Ithmar Capital, « la collaboration entre fonds souverains africains est cruciale ». Et pour cause : la BAD (Banque Africaine de Développement) estime que les besoins en financements d’infrastructures atteindront plus de 170 milliards de $ d’ici à 2025 sur le continent africain, soit le double des besoins enregistrés dix ans plus tôt (+78 Mds de $ de besoin en financements d’infrastructures en 2015).

La finance décentralisée : un levier de croissance pour le continent ?

Cette confiance des investisseurs pour le continent n’est pas uniquement soutenue par les lions africains. Des pays à PIB plus faible ont également montré une volonté de réaliser des changements structurels pour s’adapter aux crises mondiales, et favoriser le développement d’une croissance inclusive : au travers d’innovations techniques, digitalisation des actions politiques, mais aussi via l’émergence de la technologie de la blockchain. Se détachant des moyens bancaires traditionnels, son atout majeur est qu’elle permet de substituer la confiance du tiers, qui peut faire défaut dans certains pays, par une technologie infalsifiable, spontanée, et transparente.

D’après le Global Crypto Adoption Index de Chainanalytics, le top 20 des pays ayant le plus adopté les cryptomonnaies (pondéré par parité du pouvoir d’achat) est composé de 6 pays africains : le Kenya, le Nigéria, le Togo, l’Afrique du Sud, le Ghana, et la Tanzanie.

Ce constat est encore plus significatif pour les échanges de cryptomonnaies P2P, où les utilisateurs sont mis en relations les uns aux autres sans la présence d’une tierce partie : de ce côté, le Kenya se place en leader mondial en termes de volume d’échange de cryptomonnaies par PPA, suivi par le Togo (2e), et le Vietnam (3e).

L’essor de la « Mobile Money »

Cet engouement pour un système bancaire numérique se traduit aussi à travers l’essor de la « Mobile Money ». Ce service, proposé par les opérateurs téléphoniques, permet à leurs clients de réaliser des transactions uniquement à l’aide de leur téléphone portable, et sans avoir à ouvrir de compte en banque. Sur le continent africain, plus de 600 millions de comptes « Mobile Money » sont recensés, dont 85% concernent l’Afrique de l’Est et de l’Ouest uniquement. Ces 600 millions de comptes ont permis d’échanger plus de 700 milliards de $ sur l’année 2021, soit 68% des volumes mondiaux observés sur ces flux de « Mobile Money ». Autant de chiffres qui montrent que le continent africain entend bien se servir de ces nouveaux outils, via une décentralisation du système bancaire, et l’émergence de nouveaux acteurs. Ici, la technologie permet de rendre une économie informelle, formelle.

De ce point de vue, la finance décentralisée et ses variantes pourront être des leviers essentiels pour la croissance du continent. D’abord, la confiance des différentes parties prenantes est restaurée. Ce nouveau système donne aussi un nouvel élan et de l’espoir à une population jeune, née dans le numérique : d’ici à 2050, le continent africain concentrera ¼ de la population mondiale (données INED), dont presque la moitié aura moins de 25 ans. Avec une telle démographie, ces nouveaux outils bancaires auront encore de longs jours devant eux, et apporteront avec eux d’importantes évolutions sur l’environnement réglementaire, financier, et politique de nos différentes économies.

Autant d’éléments qui font que le continent africain maintient la confiance des investisseurs et que leur présence sur ce dernier sera de plus en plus conséquente. Des acteurs endogènes au continent émergent et mettent en place les dispositions nécessaires à un tel succès. De nouveaux outils permettent de répondre à des problématiques locales, réglementaires, et économiques. De même, ces évolutions ne paraissent pas incompatibles avec le défi le plus important du XXIe siècle, voire de l’histoire de l’humanité : la transition écologique. Et si le continent africain parvenait à transformer cette contrainte en opportunité ?

Par Ray Amegee, Consultant Square Management.

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