Fiabilité du diagnostic de performance énergétique : peut mieux faire, encore
La Tribune
– 04 Avril 2025
La ministre du Logement a annoncé un plan pour améliorer la fiabilité du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE). Cet outil, essentiel pour informer les ménages sur la performance énergétique des logements, voit son rôle renforcé avec la loi Climat et Résilience. Toutefois, malgré les récentes mesures, des défis subsistent, notamment sur la méthode d’estimation et l’indépendance des diagnostiqueurs. Par Edouard Civel, Anna Creti, Gabrielle Fack et Daniel Herrera.
La Ministre du Logement, Valérie Létard, vient d’annoncer un plan pour la fiabilisation du Diagnostic de Performance Énergétique, dit DPE. Cet outil, essentiel à l’information des ménages sur la performance des biens immobiliers qu’ils souhaitent acheter ou louer, a été mis en place en France à la fin des années 2000, mais son rôle s’est accru depuis la loi Climat et Résilience qui prévoit l’interdiction progressive de mise en location des passoires thermiques. Une première étape a d’ailleurs été franchie au 1er janvier 2025, avec l’interdiction de louer des logements classés « G ».
La fiabilité du DPE est contestée depuis plusieurs années, notamment par les associations de consommateurs, qui comparent son attribution à une « loterie ». Nos travaux de recherche récents ont montré des anomalies, notamment une accumulation des DPE juste en dessous des seuils associés au passage entre ses différentes classes. Ce phénomène est exacerbé dans les marchés où la concurrence entre diagnostiqueurs est forte. Deux interprétations complémentaires sont alors possibles : pour attirer des clients, certains diagnostiqueurs peuvent être tentés d’accorder des évaluations plus clémentes, ou bien les clients peuvent multiplier les diagnostics jusqu’à obtenir une note plus favorable. Les ménages, quant à eux, se fient principalement à cette note plutôt qu’à l’information technique sous-jacente pour juger de la performance énergétique du bien, amplifiant ainsi l’importance des classements DPE. Par conséquent, les vendeurs profitent d’une survalorisation de leur bien, tandis que les acheteurs paient plus cher des logements dont la performance énergétique est surestimée.
Le « tour de vis » annoncé par la ministre est une avancée importante et nécessaire. Il prévoit un renforcement des contrôles et des sanctions, notamment par la détection automatisée des DPE suspects grâce à l’intelligence artificielle, la multiplication des audits, l’obligation de présence du certificateur sur site et la suppression de l’affichage immédiat du résultat au propriétaire. Toutefois, ce plan ne répond que partiellement aux deux problèmes structurels du DPE : la fiabilité de son mode d’estimation et l’indépendance des diagnostiqueurs.
Concernant la méthode d’estimation, le DPE repose principalement sur deux types d’informations : le système de chauffage du logement et l’évaluation de ses pertes thermiques. Si les caractéristiques des chaudières sont bien standardisées, celles de l’enveloppe structurelle du bâtiment (architecture, matériaux, période de construction) restent sources d’incertitude, obligeant souvent le diagnostiqueur à s’appuyer sur des extrapolations ou des approximations. Les pertes thermiques du logement sont donc estimées, et non mesurées. Pourtant, des technologies existent aujourd’hui pour réaliser des mesures réelles, qui rendraient le diagnostic bien plus fiable, bien que potentiellement plus coûteux. Le plan actuel du gouvernement ne propose pas de solution pour remédier à cette faiblesse structurelle du DPE.
Le second enjeu majeur réside dans la fiabilité du marché des diagnostiqueurs. Tant que ces derniers seront sélectionnés et rémunérés directement par les vendeurs, les conflits d’intérêts demeureront. L’expérience dans d’autres domaines montre pourtant que des régulations plus strictes permettent d’assurer l’indépendance des évaluateurs, comme c’est le cas dans la certification financière ou les normes comptables. Les mesures annoncées par la ministre, telles que l’intensification des audits et la mission parlementaire pour la création d’un ordre des diagnostiqueurs, constituent un premier pas significatif vers une profession plus encadrée et un marché plus fiable.
Pour aller plus loin, plusieurs réformes pourraient être envisagées. La désignation aléatoire des diagnostiqueurs par une autorité indépendante, plutôt que leur sélection par les vendeurs, garantirait une plus grande impartialité. Pour limiter la concurrence par les prix, l’instauration d’un tarif régulé du diagnostic permettrait d’éviter des pratiques déloyales. Par ailleurs, un contrôle systématique pourrait être mis en place lorsqu’un même logement fait l’objet de plusieurs DPE en peu de temps, afin de prévenir le « shopping » visant à obtenir une meilleure notation. Enfin, une harmonisation européenne des méthodes, des classes énergétiques et des standards de diagnostic renforceraient la fiabilité du DPE et consolideraient son rôle comme outil central de la transition énergétique.
Le DPE est un outil indispensable pour informer les citoyens et encourager la rénovation énergétique. Le plan d’action est un premier pas important, mais d’autres réformes structurelles seront nécessaires pour garantir pleinement sa fiabilité. Assurer son indépendance et renforcer sa robustesse est essentiel pour restaurer la confiance des ménages, promouvoir la transparence du marché immobilier et, in fine, la décarbonation du bâtiment.
Par Edouard Civel, Chercheur au Square Research Center et à la Chaire Économie du Climat, Anna Creti, Professeur à l’Université Paris Dauphine et Directrice de la Chaire Économie du Climat, Gabrielle Fack, Professeur à l’Université Paris Dauphine-PSL et chercheuse associée au CEPR et à la PSE, Daniel Herrera, Professeur aux Mines Paris-PSL et chercheur associé à la Chaire Economie du Climat.