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Le Courrier Financier

– le 17 avril 2023

Le 10 mars dernier, la Silicon Valley Bank (SVB) faisait faillite — depuis, le stress bancaire chahute les marchés financiers. Quel rôle la hausse des taux directeurs par les banques centrales a‑t-elle joué dans cette chute ?
Ce 10 mars 2023, la Silicon Valley Bank (SVB), un établissement financier spécialisé dans le financement des startups, est fermé administrativement par la banque fédérale américaine. Cette fermeture fait suite à un ensemble d’opérations boursières réalisées par la SVB, provoquant un sentiment de doute important des investisseurs et entraînant notamment une chute de plus de 60 % de la valeur boursière du titre de la banque.

La faillite soudaine de cet établissement bancaire, classé seizième banque américaine en 2022, a pris de cours les investisseurs comme leurs clients, et remet en cause la politique monétaire décidée et appliquée par la Fed (Federal Reserve System, la banque centrale américaine), dans un contexte économique instable à forte inflation.

Ainsi, dans un tel environnement économique, la hausse des taux directeurs par les banques centrales est-elle toujours la solution miracle ? Comment une banque aussi importante en termes de dépôts (189 milliards de dollars en 2023) a pu faire faillite ?

Engouement pour le secteur de la tech en 2021

La pandémie de Covid-19 a eu bien des effets positifs pour le secteur de la tech en 2021, permettant à une majorité de startups de ce domaine de réaliser des levées de fonds successives auprès de différents fonds d’investissement et accélérant de fait leur croissance : à titre d’illustration, les levées de fonds pour les startups françaises ont bondi de plus de 115 % en 2021 à un niveau record de 11,6 milliards d’euros.

La SVB étant l’un des acteurs majeurs dans le financement de cette activité, était fortement contributive dans la gestion de ces liquidités perçues par ces entreprises. Elle était de fait très fortement exposée à ce secteur, qui est par nature relativement volatile et donc plus risqué, puisqu’il dépend fortement de données macroéconomiques comme les taux d’intérêts ou l’inflation.

L’engouement majeur des différents investisseurs pour ce secteur d’activité a permis à la SVB de dégager un excédent important de liquidités, qu’elle décide de sécuriser via par exemple l’acquisition d’obligations souveraines américaines, réputées comme étant à rendement faible mais surtout à un niveau de risque bas.

La forte inflation met à mal les startups

Dès 2022, dû à de multiples facteurs — guerre russo-ukrainienne, une demande toujours croissante et des chaînes d’approvisionnements fragiles, etc. — l’inflation atteint des niveaux quasi inégalés dans de nombreux pays. Les principaux régulateurs durcissent alors leur politique monétaire et augmentent de façon importante les taux d’intérêts afin notamment de ralentir la demande et pousser les consommateurs à épargner.

Malheureusement, cette hausse n’est pas sans conséquences pour certaines entreprises. Surtout pour le secteur de la tech, qui a été fortement impacté par ce resserrement monétaire : plans sociaux de grande ampleur chez Meta ou Snap, ou encore une forte baisse de la demande pour les semi-conducteurs. Les niveaux de capitalisation boursière marquent l’arrêt, et les levées de fonds pour ces start-up se raréfient, obligeant ces mêmes entreprises à piocher dans leur trésorerie pour régler leurs coûts fixes.

Face à un tel niveau de retrait, et pour une banque autant exposée au secteur de la tech, la SVB se trouve contrainte à dégager de la liquidité et décide donc de vendre ses bons du trésor américain à un moment critique pour l’établissement bancaire : elle accusera après ses ventes une moins-value de quasiment 2 milliards de dollars. Cette perte est notamment due à la hausse d’intérêts récemment décidée par Jerome Powell, président du conseil des gouverneurs de la Fed depuis 2018. Conséquence directe, une baisse des prix des obligations déjà émises.

Conséquences des hausse des taux directeurs

La faillite de la SVB laisse penser que la Fed est en partie responsable. Si les taux directeurs avaient été plus bas (passés de 0 % en 2021 à 4,50 % en 2022), les startups auraient pu trouver plus facilement du financement pour leur activité et leur croissance, et n’auraient pas contraint certaines banques spécialisées dans ce secteur à liquider leurs placements financiers. Le resserrement monétaire permet d’enrayer l’inflation et de limiter de nombreux risques — comme une éventuelle récession, ou encore la création d’une vraie bulle spéculative.

Mais cette politique peut créer d’autres risques, et notamment le risque de contagion. Même si les banques européennes, par exemple, restaient faiblement exposées à la SVB, le risque de crise systémique plane tout de même. Cela entraîne un sentiment de méfiance important sur les marchés financiers, contribuant à une instabilité sur les places financières européennes : le titre BNP Paribas perdait quasiment 7 % de valeur ce lundi 13 mars.

Au vu du niveau d’inflation actuel, cette stratégie de hausse des taux fait douter bon nombre d’investisseurs, qui craignent même que les taux continuent d’augmenter de manière indéfinie. Alors que les valeurs bancaires se fragilisent, la BCE a notamment décidé de maintenir sa politique et hausser une nouvelle fois d’un demi-point ses taux. Nous pouvons donc nous demander jusqu’à quand cette hausse va-t-elle continuer, tant l’inflation mondiale reste complexe à maîtriser tout en maintenant l’objectif de 2 %.

De nouveaux défis pour les banques centrales

La faillite de la SVB était difficile à prédire, mais elle a été fortement accentuée par une politique de moins en moins accommodante de la part de la Fed. Cet événement remet en question de façon importante cette stratégie de hausse effrénée des taux directeurs des régulateurs — qui reste considérée comme la solution inévitable à chaque crise inflationniste mais tarde à faire ses preuves dans le contexte actuel.

Les banques centrales se trouvent ainsi confrontées à de multiples défis. D’une part, atteindre leur cible inflationniste tout en limitant les conséquences de leurs politiques monétaires, d’autre part maintenir la stabilité du système bancaire. La faillite de la Silicon Valley Bank en est la parfaite illustration…

Par Alexandre Grauzam, Consultant Square Management.

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