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Le Courrier Financier 

– le 19 août 2022

L’euro numérique s’inscrit dans la catégorie dite des « crypto-actifs ». Christine Lagarde, actuelle présidente française de la Banque Centrale Européenne (BCE), a récemment qualifié ces actifs numériques comme constitutif d’une « menace ». Dans le contexte géopolitique actuel de guerre entre la Russie et l’Ukraine et suite aux sanctions économiques et financières touchant la Russie, plusieurs oligarques ont pu utiliser cette catégorie d’actifs comme un moyen de les contourner. Dans ce cas, il peut s’agir en effet d’une menace.
Un « crypto-actif » est un actif numérique qui peut être un produit financier ou une monnaie. Parmi les monnaies numériques (dites « crypto-monnaies »), nous distinguons les monnaies privées et les monnaies « officielles ». Le point commun de ces actifs numériques et le fait qu’ils reposent sur une technologie innovante commune : la blockchain. Plusieurs opportunités et menaces apparaissent, mettant à l’épreuve l’ensemble des acteurs, privés et publics, du secteur.

L’émergence de ces nouveaux types d’actifs s’inscrivent dans un profond changement de paradigme dans le système financier actuel au sein duquel la BCE doit jouer un rôle important en encourageant la régulation et en étant force de proposition, notamment sur la monnaie numérique. Il existe désormais un marché financier parallèle au marché traditionnel décentralisé et désintermédié dans lequel les banques traditionnelles et les fintechs ont également un rôle à jouer.

Dans ce contexte de profond changement, quels sont les enjeux auxquels doivent faire face les banques centrales, en particulier la BCE et quel rôle doit-elle jouer en cohabitation avec d’autres acteurs du secteur ?

La numérisation du paysage financier : une tendance lourde dans laquelle les crypto actifs ont trouvé leur place

Le paysage financier est bouleversé depuis quelques années, accéléré notamment par la crise du Covid. En effet, dans le contexte de crise sanitaire, les transactions numériques ont augmentées de 30% en France et les paiements sans contact ont bondit de 135% en 2020. Cette tendance lourde s’explique également par la mise sur le marché traditionnel d’outils numérisés de gestion bancaire toujours plus performants et l’émergence de nouveaux moyens de paiement (By Now Pay Later, Invisible payment, Biometric payment, Open banking, etc.). Ces changements ont reposé en grande partie sur une innovation technologique majeure : le grand livre distribué (Distributed Ledger
Technology, DLT) popularisé par le Bitcoin. Ce système désigne l’enregistrement de chacune des opérations et transactions effectuées au sein d’une blockchain.

On assiste donc à un développement important des crypto-monnaies (dont on en dénombrait plus de 10 514 le 9 novembre 2021), actifs numériques présentant un grand nombre d’avantages potentiels pour les consommateurs : désintermédiation des échanges, immédiateté et confidentialité des transactions, reprise en main et suivi en direct des investissements, abaissement des barrières pour les échanges transfrontalier et enfin vecteur d’inclusion financière. A ce jour, les crypto-monnaies, ont séduit plus de 8% des Français tandis que seulement 6,7% d’entre eux ont investi dans des actions alors que 30% souhaitent investir dans des crypto actifs.

Face à ce changement profond, les banques centrales mondiales ont réagi à des rythmes différents selon les pays. Certaines banques centrales ont lancé leur propre monnaie numérique (85% des banques centrales développent actuellement des monnaies numériques de banque centrale (MNBC) dont la Chine et la Suède) tandis que d’’autres sont encore en phase de réflexion et de test (c’est le cas de la BCE).

Face à des risques majeurs, l’euro numérique constitue une réponse de la BCE

L’un des principaux risques rappelé par l’actualité récente en Ukraine est lié à l’absence de contrôle de la destination des usages de ces échanges d’actifs qui évoluent ainsi en marge des règlementations nationales et internationales, ce malgré les dernières législations (MiCA et PACTE).
L’absence de garanties juridiques et donc de protection en cas de perte, vol, etc. de ces actifs est également une lacune majeure de ce néo système. Ce sont ainsi 700 millions de dollars qui auraient été dérobés au premier trimestre 2022. Chiffres qui ne prennent pas en compte l’attaque de la blockchain Ronin révélée le 29 mars dernier et dont le butin est de plus de 600 millions de dollars.
Enfin, il est important de garder à l’esprit que chaque cryptomonnaie répond à une gouvernance, or celle-ci n’est en aucun cas une garantie juridique accordée au détenteur d’asset comme l’a mis en lumière l’affaire Juno au début du mois de mars.

C’est dans ce contexte que la BCE poursuit ses travaux entamés en octobre 2020 sur la création d’un euro numérique de détail et interbancaire et ce alors que plus de 85% des banques centrales développent des monnaies numériques (MNBC) et que 8 pays ont déjà lancés leur propre monnaie digitale. L’émission de cette forme numérique de l’euro, en parallèle de l’euro fiduciaire, vise à rétablir le rôle de BCE là où les émetteurs de nouveaux actifs numériques et les entreprises privées ont pris le pas. Les ambitions de cette nouvelle monnaie numérique sont claires selon Augustin Carstens, directeur général de la Banque des règlements internationaux : faire bénéficiers au public des apports de cette numérisation en terme d’inclusion financière, de garantie d’efficacité et d’interopérabilité des flux entre les différents systèmes et d’amélioration des échanges transfrontaliers tout en préservant la stabilité monétaire et la durabilité des investissement.

Cette garantie passe, selon ce dernier, par le maintien la stabilité des prix et la confiance du public dans la monnaie flat en assurant un accès non risqué à la monnaie de banque centrale. L’institution retrouve par cette démarche son rôle unificateur afin de prévenir une fragmentation des marchés financiers et de la liquidité liée au risque majeur d’approches désordonnées et trop hétérogènes dans l’évolution des infrastructures de marché.

Comment les banques centrales, traditionnelles et les fintech pourront-elles cohabiter ?

Le lancement de cet euro numérique est prévu pour 2026. L’infrastructure numérique à utiliser fait encore l’objet de discussions entre la possibilité d’utiliser les DLT ou au contraire de faire confiance à des systèmes transactionnels plus techniques. L’interopérabilité est indispensable entre les systèmes actuels de paiement et cette nouvelle structure dès lors que ce n’est pas un remplacement des systèmes existants qui est visé mais une complémentarité entre eux, notamment à cause du passage à l’échelle pour gérer des volumes massifs de paiement.
Les fintech sauront se rendre indispensables dans ce nouvel écosystème financier ouvert, plus mobile et centré client. A ce jour, on en dénombre plus de 10 000 (et rien que 600 en France) 7 qui proposent d’une part des solutions numériques visant à faciliter, fluidifier et rendre encore plus accessibles les transactions bancaires, et d’autre part qui proposent des solutions technologiques structurelles innovantes en parallèle du système bancaire traditionnel. La blockchain étant pour lors très largement représentée.

L’enjeu principal des banques traditionnelles qui se dessine pour ces prochaines années, avec les changements structurels majeurs que cela incombe, est d’accompagner ces nouvelles monnaies numériques de banques centrales et ces nouvelles catégories d’actifs tout en intégrant ces nouvelles structures technologiques, telle que la blockchain dans leur système de production.

Par Amaury Semadeni, Consultant Square Management.

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