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Environnement Magazine

– le 27 juin 2022

Lundi 04 avril 2022, la France a payé son électricité près de dix fois plus chère qu’habituellement. Si la situation s’est avérée exceptionnelle, la demande étant plus forte suite à une intense vague de froid, il n’en reste pas moins que ces dernières années le prix de l’électricité n’a cessé d’augmenter.

L’énergie joue un rôle majeur dans notre quotidien. Cette énergie est produite à partir de différentes sources, comme le pétrole, le gaz, le charbon, le solaire, l’éolien, le nucléaire, l’hydraulique, etc. Or, chaque source alimente une activité précise : le transport individuel est majoritairement alimenté par du pétrole, la production d’engrais nécessite du gaz fossile … L’électricité n’est donc qu’une partie du mix énergétique et correspond à des usages spécifiques : l’éclairage public, une majorité du transport ferroviaire, les mobilités douces ou encore, une grande partie du chauffage…

Le mix électrique français jusqu’aux années 2000

EDF (Electricité De France) est créée en 1946 pour fournir une électricité bon marché aux Français, initialement à base de charbon et de pétrole. Il faudra attendre 1974(1) pour le début du programme nucléaire français, ou plan Messmer, décidé suite au krach pétrolier de 1973. Les premières centrales sont raccordées au réseau dans les années 80. Le mix électrique français repose désormais à plus de 75%, et sur 56 réacteurs, pour délivrer une électricité décarbonée et parmi les moins chères d’Europe.

Le marché de l’électricité s’ouvre par la suite à la concurrence dans les années 2000, ce qui donnera lieu à la création de l’ARENH (Accès Régulé de l’Électricité Nucléaire Historique) pour favoriser l’émergence de fournisseurs alternatifs.

Après les années 2000, la libéralisation de la production d’électricité

L’ARENH oblige EDF, qui aurait une rente indue, à vendre 25% (soit 100TWh) de sa production nucléaire à des fournisseurs alternatifs (TotalEnergies, ENGIE, Leclerc, CDiscount, Ekwatteur, …). Ces concurrents n’ont pas les capacités de production nécessaires pour assurer l’approvisionnement de leurs clients et sont donc dépendants de la production d’EDF et du mécanisme de l’ARENH.

Le Tarif Régulé de Vente de l’Electricité (TRVE) correspond à un tarif de vente proposé par les producteurs à des clients particuliers. Afin de favoriser l’émergence d’une concurrence, il fut décidé que le prix de l’ARENH soit inférieur au TRVE. Ainsi, les fournisseurs alternatifs ont été en mesure de vendre de l’électricité à meilleur prix que le producteur historique, sans pour autant prendre le moindre risque industriel puisqu’il n’est pas nécessaire de produire le moindre KWh. Mais, en 2018, les demandes d’ARENH dépassent le plafond des 100TWh pour la première fois. Les demandes sont alors écrêtées et le reste doit être soit produit, soit acheté sur le marché de l’électricité : il s’agit là du “coût du complément d’approvisionnement en énergie et en capacité”.

La récente explosion du prix de l’électricité

Jusqu’ici, il ne s’agit pas d’un problème pour les alternatifs, tant que le prix de gros de l’électricité reste raisonnable. Malheureusement, fin 2021, les prix sont multipliés par 5 à 10. Ce coût d’approvisionnement est donc aussi multiplié par le même chiffre. Or, le TRVE est calculé en prenant en compte ce coût. C’est ainsi que la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), commission chargée de calculer le prix de vente de l’électricité (TRVE), déclare dans son dernier rapport (2) que l’augmentation de 44.5% de celui-ci est due pour 41.4% à l’augmentation de ce coût d’approvisionnement.

Pour limiter l’augmentation pour le consommateur, il existe donc deux possibilités, une première revient à simplement changer la méthode de calcul et moins prendre en compte le coût d’approvisionnement. L’autre solution, celle choisie, consiste à augmenter la part vendue par EDF à ses concurrents de sorte à réduire la part d’approvisionnement externe. Evidemment, cette solution a été choisie et elle pénalise grandement EDF qui se voit contraint de vendre 20 TWh à Total et ENGIE, à 46€/MWh contre 200 à 300€/MWh sur les marchés de gros (3).

Pourtant, pour l’environnement, il faut tout miser sur l’électricité

Si les prix inquiètent tant, c’est parce que l’électrification des usages aura une position primordiale dans la décarbonation de notre économie. En effet, la combustion d’hydrocarbure (gaz, pétrole, charbon) émet du Co2. L’objectif de neutralité carbone à horizon 2050 revient donc implicitement à interdire ces sources d’énergie. Pour remplacer leurs usages actuels, il est nécessaire de les électrifier tout en décarbonant la production d’électricité. Par exemple, pour décarboner la production d’acier, nous pourrions produire de l’hydrogène par électrolyse de l’eau grâce à de l’électricité décarbonée avant de réduire le minerai de fer grâce à cet hydrogène (4).

Ainsi, contrairement à beaucoup de secteurs, les producteurs d’électricité se voient attribuer une double mission : ils doivent parvenir à augmenter la quantité d’électricité produite pour s’adapter à l’électrification des usages, tout en diminuant les émissions de CO2 de cette production, pour respecter nos engagements climatiques. Pour parvenir à cette prouesse, nous devrons uniquement nous appuyer sur de l’électricité d’origine nucléaire, hydraulique, solaire ou éolienne, toutes très controversées lors des dernières élections présidentielles.

Enfin, dans cet environnement où les investissements seront nécessairement massifs pour décarboner notre mix énergétique, il est inquiétant que de telles mesures politiques soient mises en place, pénalisant EDF (environ 8 milliards d’€ pour l’année 2022 [5]) au profit de sociétés privées n’ayant aucune obligation d’investir dans un futur mix énergétique décarboné. Si le mécanisme de l’ARENH n’est pas prolongé après son échéance en 2025, il est probable que nombre de fournisseurs alternatifs se voient contraints de fermer faute de capacité de production compétitive. Nous serions alors revenus au même point qu’au début du millénaire : un fournisseur unique à qui nous avons ponctionné plusieurs milliards par an pendant deux décennies pour subventionner une concurrence inutile pour le consommateur final.

Sources

(1) https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/le-lancement-du-nucleaire-civil-en-france-en-1974

(2) CRE, DELIBERATION N°2022–08, Délibération de la Commission de régulation de l’énergie du 18 janvier 2022 portant proposition des tarifs réglementés de vente d’électricité, 18 janvier 2022.

(3) https://www.rte-france.com/eco2mix/les-donnees-de-marche

(4) Voir par exemple les projets d’Arcelor Mittal.

(5) https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/journalistes/tous-les-communiques-de-presse/mesures-exceptionnelles-annoncees-par-le-gouvernement-francais

Par Clotilde Patarin et Guillaume Flament, Consultante Data et Consultant Chercheur Square.

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