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Coins

– le 15 Septembre 2023

Not your key, not your crypto, nous répètent les spécialistes de la cryptomonnaie depuis le scandale FTX, et ce doux murmure hante encore certains investisseurs. En effet, les plateformes d’échange décentralisées ou les cold wallets (dispositifs de stockage hors ligne), par exemple, permettent encore aux utilisateurs de bénéficier pleinement des avantages de la blockchain pour naviguer sur ce marché avec le doux adage your key, your crypto.
La chute de la plateforme centralisée et les réactions en chaîne qui l’ont suivies dans l’écosystème , pourraient ralentir l’adoption de masse des cryptomonnaies et rappeler à tous que faire appel à un tiers de confiance pour conserver ses biens nécessite que ce dernier réponde à de solides régulations. La France a démontré sa capacité à réguler tôt en offrant un cadre que l’on peut qualifier de « bac à sable » avec le statut PSAN (Prestataire de service sur actifs numériques) et a ainsi fourni une base de travail à l’Europe pour la réglementation MICA. Alors que MICA, qui pose un cadre légal clair sur la distribution de cryptomonnaies, n’est pas encore entré en vigueur, Christine Lagarde, la présidente de la Banque Centrale Européenne, parle déjà d’un MICA 2 pour aller plus loin dans la régulation.
L’adoption des cryptomonnaies est aussi mise à mal par une période de bear market que l’on peut aussi appeler crypto winter, autant de qualificatifs pour désigner un marché baissier, qui voit la fin de certains projets et jette un froid glacial sur les investissements dans les projets blockchain. Le bear market actuel, démarré en mars 2022, permet de faire le tri entre les projets solides apportant une réelle valeur ajoutée, des autres projets exclusivement spéculatifs surfant sur la tendance du Web3. Les premiers nommés perdurent et profitent même du calme de cette période pour se développer tandis qu’une grande majorité des seconds a déjà mis la clé sous la porte au cours de l’année passée.

L’actualité sulfureuse de cette année et la baisse spectaculaire des cours des cryptomonnaies en résultant occupent les esprits et animent des débats passionnés, mais ne serait-il pas le moment idéal pour faire une pause et se poser la question de la réelle utilité des cryptomonnaies ?

Les cryptomonnaies remplissent certaines fonctions des monnaies traditionnelles

Depuis Aristote au IVe siècle avant JC, on considère une monnaie comme un objet regroupant 3 critères distincts : Une réserve de valeur, une unité de compte et un moyen d’échanges de biens et services entre les individus. A celles-ci, JM Keynes dans sa Théorie générale, en 1936 ajoute une 4ème fonction à la monnaie : celle de la spéculation.

En reprenant chacune de ces différentes fonctions, on s’aperçoit que les cryptomonnaies remplissent bien chacune d’entre elles mais que cela dépend du lieu géographique choisi et du système financier en place. A titre d’exemple, dans un pays comme la France ayant un système bancaire stable, une monnaie forte (malgré l’inflation en cours), la valeur ajoutée des cryptomonnaies réside davantage dans la diversification d’un investissement que dans un moyen d’échange au quotidien. A l’inverse, dans des pays tels que l’Argentine, le Salvador, le Venezuela ou encore la Centrafrique dans lesquels le système bancaire est fragile et la monnaie locale très instable, le recours aux cryptomonnaies peut devenir une véritable alternative au système monétaire traditionnel. Une partie toujours plus importante de la population de ces pays-là y ont recours. Ainsi, le peso argentin a subi une baisse de 99% face à l’euro en 20 ans et une inflation de 95% constatée sur la seule année 2022. Les cryptomonnaies permettent donc de meilleurs transferts de valeur dans les pays où la monnaie, par sa volatilité, ne permet pas à la population de conserver de la valeur ou d’échanger des biens et des services. On note seulement 30% de personnes bancarisées au Salvador et environ 2 milliards d’adultes à travers la planète n’ont toujours pas accès à un compte bancaire sur leur territoire. Depuis septembre 2021, EL Salvador en a fait sa monnaie officielle afin de réduire sa dépendance au dollar américain et ainsi lutter contre les frais prélevés sur les transferts d’argent de la diaspora salvadorienne qui représentent 22% de son PIB.

A l’inverse de ces pays où les crypto-actifs sont utilisés comme moyens d’échanges, on observe que les cryptomonnaies sont utilisées en majorité à des fins spéculatives ou encore d’investissements long terme et servent d’actifs de diversification au sein de portefeuilles financiers. Début 2023, environ 10% des Français détenaient de la cryptomonnaie, 13% aux Etats Unis et de plus en plus de fonds d’investissements ont également franchi le pas. On peut ainsi citer TOBAM, une société de gestion d’actifs gérant plus de 10 milliards de dollars et ayant investi dès 2017 dans le Bitcoin pour le compte de ses clients.

Le caractère incensurable résultant de l’absence d’intermédiaire pour effectuer des transactions en cryptomonnaies est également un aspect mis en avant par certains investisseurs. Ils souhaitent conserver une liberté totale dans la gestion de leur épargne sans être contraint par un régulateur ou un État.

En parallèle, certains économistes estiment que le caractère décentralisé car non dépendant d’une banque centrale et l’émission gérée par des algorithmes mathématiques leur retire la qualification de monnaie. Ils jugent aussi que leur volatilité importante et leur utilisation encore limitée les différencient d’une monnaie traditionnelle fiduciaire. On peut toutefois leur répondre que la qualification de monnaie de diverses devises à travers le monde (peso argentin, livre turque et libanaise…) n’est pas remise en cause malgré leur volatilité parfois supérieure à celles des crypto-monnaies. Fin d’année 2021, on a pu observer une baisse de 65% du cours de la livre turque face à l’euro en 90 jours.

Il est donc clair que si le débat reste ouvert quant à la qualification de monnaie ou non des cryptomonnaies car elles peuvent en remplir les mêmes fonctions. Bitcoin se substitue à des systèmes traditionnels lorsque ces derniers sont défaillants. L’utilité des cryptomonnaies varie grandement en fonction du contexte, en particulier géopolitique et de la stabilité financière.

Les cryptomonnaies peuvent être un complément efficace aux monnaies fiduciaires sur plusieurs aspects

Bitcoin (et la majorité des cryptomonnaies) peut être qualifié de monnaie neutre car il n’est pas contrôlé par un gouvernement ou une organisation centrale. La perception de neutralité vient également du fait que les cryptomonnaies sont transnationales par nature : elles peuvent être utilisées dans le monde entier sans être soumises aux restrictions et aux coûts de conversion. Ceci offre un avantage certain pour les échanges internationaux.

On peut aussi dire que Bitcoin, en particulier, est déflationniste, la création de bitcoins est limitée à un rythme prédéfini par le protocole du réseau, ce qui signifie que l’offre est finie et prévisible. Il existe 21 millions de bitcoins. Cela peut encourager les investisseurs à acheter des bitcoins comme une réserve de valeur, renforçant ainsi la demande. Cependant, cette caractéristique déflationniste peut également décourager les détenteurs de dépenser leurs bitcoins et donc en limiter l’usage comme monnaie d’échange. Sa volatilité peut également rendre difficile pour les entreprises et les consommateurs de prévoir les coûts et les revenus lorsqu’ils l’utilisent et ainsi conduire à une situation où Bitcoin est utilisé principalement comme une réserve de valeur plutôt que comme une monnaie d’échange fonctionnelle. Cela contraste avec les monnaies traditionnelles émises par les banques centrales, dont l’offre peut varier considérablement en fonction des politiques monétaires et des décisions gouvernementales.

Les investisseurs en crypto monnaies sont attirés par le potentiel de gain lié à la valeur spéculative de cette dernière, mais nombre d’entre eux s’intéressent plus précisément à la technologie sous-jacente et aux projets qui y sont liés. Les cryptomonnaies peuvent ainsi démontrer des avantages certains par les fonctionnalités et les services à forte valeur ajoutée que la blockchain permet de mettre en œuvre.

L’arrivée sur le marché d’Ethereum en 2015 introduit la programmabilité grâce aux smarts contracts, et propose un système standardisé et ouvert. Ce système permet à chacun de développer des solutions sur une infrastructure qui aligne les intérêts des parties prenantes directement dans la blockchain et donc sans passer par un tiers de confiance.

Les paiements programmables par exemple, permettent d’associer des conditions à un paiement et de l’automatiser lorsque les conditions sont réalisées. Ceci simplifierait les paiements des indemnités d’assurance en cas de dommage, par exemple.

Les smarts contracts posent aussi la base d’une potentielle monnaie programmable. L’utilisation d’une monnaie numérique programmable basée sur la blockchain pour les mouvements monétaires dit « de gros », permettrait de sécuriser, accélérer et fluidifier les transactions complexes opérées entre gouvernements, des gouvernements vers les institutions et les entreprises etc… Cette utilisation a le potentiel d’être plus efficace et moins coûteuse que les standards interbancaires en vigueur, souvent coûteux et complexes.

Dans le cas de l’émission d’une monnaie, dite de « détail », de banque centrale, la programmabilité pourrait affecter la performance de cette dernière et avoir des conséquences sociétales importantes. Les récentes polémiques autour du test de la banque centrale de Chine qui pourrait émettre un e‑Yuan « périssable » et favoriserait la consommation au détriment de l’épargne, illustre les enjeux liés à la programmabilité de la monnaie.

Dans le cas d’une crypto-monnaie émise par une entreprise, programmer des conditions d’utilisation dès l’émission de cet actif peut aider à imaginer des modèles d’affaires qui favorisent la fidélité des clients dans le retail, ou qui encouragent la consommation en circuits courts dans une région donnée.

En somme, les caractéristiques intrinsèques des monnaies générées par la blockchain peuvent présenter des avantages et trouvent leur utilité en tant que « systèmes » en compléments des monnaies fiduciaires, mais réunissent toujours des limites liées à leur difficulté d’évaluation et à leur volatilité. Les stablecoins peuvent se présenter comme des candidats crédibles comme relai des monnaies fiduciaires, car ils permettent la détention propre, se basent sur des infrastructures ouvertes et permettent des transactions en temps réel. La réglementation européenne MICA prévoit d’ailleurs d’en limiter l’émission pour prémunir l’Europe d’une potentielle prise du contrôle monétaire par un stablecoin indexé sur l’Euro et émis par une entreprise privée.

Conclusion

Quelle que soit la qualification que l’on retient des cryptomonnaies, on constate que leur détention par les particuliers, les entreprises et les institutions est en nette progression (425 millions de détenteurs fin 2022 soit environ +125 millions sur une année) et ce, malgré le bear market actuel. Le Salvador et la Centrafrique, ayant une forte volatilité de leur monnaie, en ont fait leur monnaie officielle, d’autres pays sont en train d’y réfléchir sérieusement. On peut en conclure que le recours aux crypto-actifs est un complément efficace au système bancaire actuel.

Malgré les logiques partisanes, il ne faut pas se laisser enfermer dans le débat actuel permanent autour de la qualification de monnaie ou non.

Gardons à l’esprit que l’environnement reste jeune et toujours en cours de construction et que la valeur ajoutée apportée aux utilisateurs est déjà visible. Ignorer le sujet ou le rejeter trop hâtivement nous priverait de potentiels avantages dans le futur. Il convient donc de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

Par Lina BENDIFALLAH et Théophile VUILLIER, Consultants chez Square Management.
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