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Journal du Net 

– le 23 mars 2022

Dans un contexte de perte de sens au travail et de fragilisation des collectifs, les roses offertes aux collaboratrices pour la journée internationale des droits des femmes n’ont pas le même parfum.

Le 8 mars est un marronnier dont les entreprises se saisissent pour affirmer l’importance des enjeux de leur politique « Diversité et Inclusion » et l’inscrire dans la culture de leur organisation. En interne, c’est une occasion de consolider le collectif de travail en créant un « effet de résonance (1) » et de le sensibiliser à ces questions. À l’externe, c’est une opportunité de faire la différence en valorisant l’aspect social de sa marque employeur. Dans le même temps, les exigences des collaborateurs et des candidats se sont accrues autour de ces thématiques. Comme le souligne le baromètre 2022 du MEDEF sur la perception de l’égalité des chances en entreprise, 90 % des salariés jugent prioritaire la réalisation des objectifs en matière d’équité professionnelle entre les femmes et les hommes. Sans oublier que les jeunes diplômés ne se contentent plus des discours, mais conditionnent parfois leur recrutement à des actions concrètes.

Une pression sociale et légale

Dans un contexte où la RSE, dont le volet sur les dimensions sociales, est un point d’attention avec l’ensemble des parties prenantes, les entreprises doivent inscrire leur politique d’égalité dans une dynamique d’innovation et de progrès constants. Cette pression est d’autant plus forte que la loi Rixain de 2021 instaure de nouvelles obligations pour les sociétés comme celle d’avoir 40 % de femmes parmi les cadres dirigeants et les membres des instances de direction d’ici 2030.

De plus, cette année, la directive européenne CSRD va être traduite dans le corpus législatif national. Elle imposera aux établissements une série d’indicateurs sociaux et environnementaux exigeants tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Cela impliquera par exemple d’identifier, non seulement, les actions prises par l’entreprise pour remédier aux situations d’inégalités, mais aussi de mesurer leur impact.

2030 : c’est déjà aujourd’hui !

Pour tenir ces objectifs réglementaires et sociaux, l’intérêt des entreprises est de continuer à « capter » et « retenir » les collaboratrices en place. Pour cela, elles savent qu’il faut opérer une révolution copernicienne en travaillant différemment. Pourtant, elles sont confrontées à de vrais freins qui empêchent la réalisation concrète de cette volonté. Par exemple, cela se traduit par des projections statistiques qui montrent que les courbes matérialisant la part des femmes parmi les cadres dirigeants et au sein des comités exécutifs ou de direction ne poursuivent pas une dynamique qui permettra de relever le défi de l’égalité pour 2030.

C’est pourquoi les entreprises doivent s’engager, dès à présent, dans une démarche proactive et systémique pour pouvoir transformer efficacement les normes produites par le rapport au travail, l’organisation et ses process. Les sociologues Haude Rivoal (2) et Djaouidah Séhili (3) ont montré que ces normes plus ou moins tacites peuvent constituer l’entreprise comme un lieu masculin alors même qu’elles ont l’apparence de la neutralité. Par exemple, dans le cadre des entretiens annuels d’évaluation, la grille utilisée peut implicitement privilégier des compétences ou des attitudes qui sont socialement reconnues comme « masculines » (disponibilité, autorité, prise de risques, etc). Ces dernières sont valorisées soit comme le fruit d’un processus d’acquisition par la formation ou l’expérience, soit comme un signe de professionnalisme. A contrario, les savoir-faire représentés comme « féminins » (l’empathie, l’écoute, etc) seront dépréciés puisque supposément « innées » ou « naturelles ».

De l’index au diagnostic ?

L’index de l’égalité femmes-hommes est un outil qui permet d’établir un premier diagnostic de la situation. Pour toutes les organisations d’au moins 50 salariés, il est l’opportunité d’initier une réflexion pour mettre en place un plan d’action au service des objectifs stratégiques 2030. En somme, c’est une occasion d’adopter des dispositifs innovants comme un « congé menstruel » (l’endométriose touche 10 % des femmes), adapter les horaires de travail afin de faciliter l’articulation des temps professionnels et familiaux, mettre en place des actions positives à destination des proches aidants (60 % sont des femmes), ou encore organiser du mentoring, de la formation ciblée ou un programme ambassadrices.

Néanmoins, pour que ces actions soient adaptées, la mise en place d’un diagnostic des pratiques professionnelles est essentielle à leur réussite. Une réussite elle-même essentielle pour les salariées qui souhaitent que leur entreprise tende vers l’égalité.

Sources

(1) Rosa Hartmut et Zilberfarb Sacha, Résonance : une sociologie de la relation au monde, Paris, la Découverte, coll. « Théorie critique », 2018.

(2) Rivoal Haude, La fabrique des masculinités au travail, Paris, la Dispute, coll. « Le genre du monde », 2021.

(3) Séhili Djaouidah, La castration sociale, Paris, Syllepse, coll. « Le présent avenir », 2003.

Par Tanguy Dufournet, Consultant et Chercheur Square Management.

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