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Et si demain l’Amérique de Trump bloquait nos paiements ?

Les Echos

– 6 avril 2025

La dépendance européenne en matière de réseaux de paiement est un risque majeur. Geoffrey Laloux, principal chez Square Management Belgium, incite l’Europe à réagir et montre qu’elle a bel et bien des options pour renforcer ses positions.

 

Et si, demain, une crise diplomatique entre les États-Unis et l’Union européenne aboutissait à une suspension de nos paiements internationaux et rendait impossible une large proportion de nos paiements en ligne et même en proximité ?

Sur le plan politique un tel scénario est encore peu probable malgré les tensions apparues dans les relations entre Washington et Bruxelles. Sur le plan technique en revanche, la dépendance structurelle de nos flux de paiements à des systèmes non européens est un risque majeur sur les entreprises et les États européens qui n’a rien de théorique.

Réalisons-nous que le citoyen européen, qui paye par carte son déjeuner ou souscrit à un abonnement en ligne, passe par les réseaux Visa ou Mastercard dans plus de 60% des cas ? Ce pourcentage est même de 100% dans les pays de la zone Euro qui ne disposent plus d’un réseau domestique de carte.

En clair : Quand un Européen paye avec sa carte dans un commerce de proximité, il y a une forte probabilité pour qu’il utilise une technologie sous contrôle non européen. La probabilité devenant quasi certaine en cas d’achat en ligne ou à l’étranger.

En France, le réseau Carte Bancaire fait de la résistance

Le réseau CB traite encore entre 80% et 85% des transactions par carte. En e‑commerce, la proportion descend à 70% mais reste encore confortable.

Cependant, cette part de marché s’érode continuellement avec l’essor des néobanques qui ne proposent pas de carte « cobadgée », et surtout avec le développement rapide des applications de paiement largement dominées par les américains Apple, Paypal ou Google, qui privilégient l’acquisition des paiements via les réseaux internationaux Visa et Mastercard au détriment de CB.

En matière de transfert de compte à compte (virement bancaire), notre souveraineté est également relative. Si nos paiements nationaux ou intra SEPA restent sous le contrôle de l’Eurosystème, 70 % des paiements internationaux transitant par des banques européennes passent par SWIFT, une entreprise certes basée en Belgique, mais fortement soumise à l’influence du Trésor américain.

Une dépendance qui a déjà fragilisé l’Europe

L’absence de contrôle de l’Europe sur les systèmes de paiement internationaux nous a déjà privés de leadership. En 2022, lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce sont les États-Unis qui ont décidé seuls de déconnecter les banques russes du réseau SWIFT et qui ont poussé MasterCard et Visa à suspendre leurs activités en Russie. L’UE a approuvé la décision et a également mis en place des sanctions contre la Russie, mais faute de levier, elle n’a pas été en mesure de cibler directement les réseaux de paiement.

Plus grave, notre dépendance aux infrastructures extra-européennes nous expose directement ou indirectement à l’utilisation du blocage des paiements comme arme de rétorsion. En 2018, après le retrait unilatéral américain de l’accord sur le nucléaire iranien, les banques européennes ont été menacées d’exclusion de SWIFT si elles continuaient à commercer avec l’Iran.

Malgré les tensions diplomatiques croissantes entre les États-Unis et certains de ses alliés historiques, l’Europe ne connait pas de situation comparable. Toutefois, le simple fait que ce scénario soit techniquement possible doit nous inciter à urgemment travailler à la mise en place d’un plan de contingence.

 

 

 

Des alternatives à construire ou à consolider

Pour (re)construire sa souveraineté, l’Europe a la possibilité de développer son propre « scheme » carte en s’appuyant sur les réseaux domestiques existants, suivant l’exemple de la Russie (MiR) et de la Chine (UnionPay). Les enseignements des projets avortés SEPA-Card (2002–2003), Monnet (2008–2011) ou encore EPI (dans sa version 2020–2023) démontrent cependant qu’outre les difficultés techniques, la viabilité financière d’un tel projet n’est pas garantie.

La seconde voie est de développer une véritable alternative paneuropéenne aux paiements par carte en se basant sur les transferts de compte à compte.

Dopées par le développement rapide des paiements instantanés (SCT. Instant) qui reposent sur la plateforme TIPS gérée par l’Eurosystème, de nombreuses applications de paiement mobile locales ou régionales émergent. On citera WERO bien sûr qui se déploie en France, en Allemagne et au Benelux, mais également VipssMobile Pay qui s’impose dans les pays scandinaves ou encore l’alliance EuroPA qui se profile en Espagne, en Italie et au Portugal.

L’ambition affichée de ces portefeuilles numériques de concurrencer les géants Paypal ou Apple Pay peut paraitre démesurée, mais le succès de iDEAL aux Pays-Bas démontre que c’est parfaitement possible : iDEAL (qui sera à terme remplacé par Wero) couvre 20% des paiements de proximité et plus de 60% des paiements en ligne.

Le législateur doit également favoriser, voire imposer des normes d’interopérabilité pour créer une véritable itinérance des paiements sur le modèle de BlueCode qui, grâce à l’utilisation de QR code aux standards de l’EPC (European Payment Council), permet déjà de connecter des systèmes de paiement mobiles entre l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie.

Atteindre la souveraineté en matière de paiement n’impose pas le rejet de tous les paiements par carte ou la déconnexion totale avec les systèmes non-européens. Dans une économie mondialisée, ce serait un non-sens, qui plus est lourd de conséquences pour les banques européennes pour qui les cartes constituent une part significative de leurs revenus.

 Mais un rééquilibrage est indispensable, nous devons prendre conscience de nos faiblesses pour les corriger rapidement, et œuvrer à la création et à la promotion d’alternatives.

 

 

 

Par Geoffrey Laloux, principal chez Square Management Belgium

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